Blog-not, Catherine Dutigny
Blog-not, éd. Rroyzz, avril 2016, 210 pages, 16 €
Ecrivain(s): Catherine Dutigny
Un roman : des personnages, un cadre, un décliné d’histoire… il était une fois… Un roman policier : la même chose, plus d’inquiétants évènements, type meurtre, par exemple, des personnages suspects en attendant le coupable, et des enquêteurs aux agissements variés plus ou moins – vite – couronnés de succès : il était une fois des choses bizarres… Qui n’aime lire un policier et qui – qui ? – n’aurait pas voulu pouvoir en écrire, au moins une fois dans sa vie, a minima un bon chapitre ? Vous en rêviez, Catherine Dutigny l’a fait ! Comme dit la pub. La dame n’en est pas à son coup d’essai, c’est vrai, en matière de nouvelles et de romans, mais, là, c’est un beau coup double : écrire un roman galopant, et un policier digne de la loupe qui garnit le dos de son livre. Parce qu’en ce domaine – rebattu en littérature – encore faut-il que le lecteur lise en ne lâchant pas le bouquin (chaque page avancée donnant un peu plus de lumière sur la solution), qu’il s’intéresse au milieu, aux héros, au genre d’enquête menée, avec l’impression de voyager dans du nouveau, et non dans le énième série noiraude, que le rythme, les fausses pistes frustrantes à souhait relancent l’attention, qu’on visualise parfaitement celui-ci, ou celle-là, qu’on craigne, qu’on suppose, qu’on frissonne, bref, qu’on « y » soit. Professionnel, comme un bon produit littéraire, et comme une enquête à la hauteur… Réussi comme ce Blog-Not en main, cet été.
Le milieu est celui du monde internet, côté blog et réseaux sociaux, et de ses étranges modes de communication. Ces endroits où (nocturnement, souvent ; en marge de la vraie vie, notamment son métier, sa famille, etc.) il suffit de deux clics, une page, un avatar, et vous existez autrement. An other life. Si, en plus, vous êtes borderline psychologiquement, voire davantage, n’en doutez pas, c’est votre endroit idéal de mise en chantier de perversités, manipulations diverses, en des domaines quasi illimités (ici, le deal est de pousser au suicide – en les aidant, si besoin est – des gens fragiles et des adolescents en phase difficile). Remarquable immersion dans ce milieu plus que glauque, dont chaque rouage – versus réalité lisse, versus monstre de la nuit – est décortiqué à merveille : « La toile ne manquerait certainement pas de créatures malléables, aux frontières floues, à l’œdipe mal consommé, pour se faire piéger au miel empoisonné de ses propos sinistrement délectables ». Ce n’est plus le couteau dégoulinant dans les rues foggeuses de Londres de Jack l’éventreur, qui risque de hanter vos cauchemars post lecture, mais, le clic sec de votre ordinateur ! « Seul bruit, la ventilation de l’ordinateur ; seule lumière, l’écran de l’ordinateur. Des odeurs en pagaille avec en dominante celle du tabac froid, du renfermé, de la poussière… le rite immuable commençait ».
Les personnages ont de la chair et une charpente de vieux bois odorant, côté « dingue », côté victimes en puissance (la maison de retraite et son fourmillement vaut un docu d’« Envoyé spécial »), mais c’est la face enquête (or, c’est loin d’être toujours le cas dans les récents romans policiers) qui accouche de la haute valeur du livre. Les enquêteurs professionnels ; un commissaire tout en retenue et charme, plus britannique que San A ; un adjoint (que préfère Catherine Dutigny ; le connaîtrait-elle ?) genre bourru Bourrel, mâtiné – une pointe goûteuse – de notre cher Beru, en plus intello. Des filles, comme en regorge à présent tout commissariat ; de celles des écoles aux apprenties sur le tas. Et puis – tout le réussi du livre est là – des fouineurs non pro (dire amateurs serait injurieux pour la qualité du travail fourni). La graphologue – un monde peu connu de vous et moi, que connaît sur le bout de la lettre notre auteure – sa gamine, une Clarisse juste comme les nôtres : « – une raclette ma chérie, ça te va ? – une raclette ? Pffff, m’man, je croyais t’avoir dit que je commençais un régime, fit-elle d’un air exaspéré, la main posée sur un ventre plat comme une limande… », le petit copain-voisin, insupportable et fou comme jeune chien (policier) ; pile le futur journaliste d’investigation qu’il rêve d’être. Quelques autres, originaux, comme le vieux marin dans sa péniche, port de Conflans-Sainte-Honorine ; ce qui nous vaut, au fil des pages et sans en avoir l’air, une visite plutôt documentée, mais évitant le côté professoral, dans ce milieu de la batellerie fluviale. L’attachant – le parfaitement réussi – est ce manège à l’Agatha Christie – du type, mine de mine, j’enquête. Pas tant du côté de la chère Miss Marple, qu’on devinerait peu à l’aise pour échanger sa tasse de Darjeeling contre le clic de la souris, que d’une autre Agathienne, que des films récents nous ont présentée : Prudence Beresford, qu’incarne Catherine Frot, aux côtés de son Bélisaire de mari, sous les traits de Dussolier. C’est à elle qu’on pense, en moins fofolle, moins aristo, plus nous toutes, de tous les jours : « Delage me considéra avec une commisération non feinte. Dans sa jungle personnelle, je devais avoir revêtu l’aspect affriolant d’un kakapo, ce perroquet néo-zélandais, élu l’animal le plus con du monde. Il s’appliqua à me le faire comprendre ».
Après, la seule question valable reste le temps que vous allez mettre pour gloutir les 200 pages vous séparant de la solution de l’énigme. Fort à parier que quelques belles heures de lecture suffiront.
Martine L Petauton
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