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Bleuets, Maggie Nelson (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay 10.01.20 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Biographie, Essais, USA, Editions du Sous-Sol

Bleuets, Maggie Nelson, Editions du Sous-sol, août 2019, trad. anglais (USA) Céline Leroy, 112 pages, 14,50 €

Edition: Editions du Sous-Sol

Bleuets, Maggie Nelson (par Delphine Crahay)

 

Du bleu au cœur

Etes-vous déjà tombé amoureux d’une couleur ? Maggie Nelson, oui, et c’est le sujet de Bleuets, bref et dense ouvrage traduit et publié par les Editions du sous-sol, dix ans après sa parution aux Etats-Unis, en 2009. Mêlant essai et autobiographie, il raconte l’histoire d’une passion, d’une fascination, d’un envoûtement même, qui a suscité l’« illusion choisie » que chaque objet bleu serait un « buisson ardent » ou un « code secret » à décrypter. L’auteure, après avoir mené tous azimuts une quête des bleus, se propose d’expliquer ce que cette couleur signifie et représente pour elle, à côté de ses significations et connotations admises. Son livre prend la forme de 240 fragments, de longueur irrégulière, au contenu hétéroclite mais reliés par un fil céruléen parfois ténu, parfois lâche, mais jamais coupé. Les épisodes autobiographiques, qu’ils concernent ou non la déliquescence d’un amour qui, pour être né avec la cueillette de bleuets, n’a rien d’un conte bleu, nous ont semblé d’un intérêt inégal – peut-être parce que, ne connaissant pas Maggie Nelson, nous n’entretenons pas – ou pas encore – avec elle cette intime et ancienne familiarité qui nous lie aux écrivains aimés, et qui rend curieux de leur vie aussi bien que de leur personne.

Peut-être aussi parce que nous ne pouvons nous défendre d’une pointe d’agacement dépité face à la récurrence du très malsonnant « baise », face à quelques pointes de vulgarité qui, pour rares qu’elles soient, ne nous ont paru ni opportunes ni, comme cela peut-être le cas, piquantes et savoureuses.

Pour le reste, Bleuets est un opuscule des plus stimulants. Maggie Nelson s’y interroge – et nous à sa suite – sur la nature, la perception et même l’existence de ce « fouillis chatoyant » que sont les couleurs. Erudite sans être bas-bleu, elle y a rassemblé des bribes scientifiques et philosophiques, littéraires et artistiques, glanées au fil de ses lectures, convoquant Platon, Newton, Goethe, Wittgenstein, Thoreau, etc. Elle relate aussi des anecdotes, partage des connaissances variées – allant des mœurs amoureuses du jardinier satiné à la manière d’obtenir un ersatz de l’outremer – et livre des réflexions diverses qui aiguillonnent les nôtres. On pourrait souhaiter qu’elle eût approfondi ou développé davantage et ses propres cogitations, et celles des penseurs qu’elle cite, mais ce n’est visiblement pas son propos : il semble plutôt qu’elle nous y invite en éveillant notre curiosité et en attisant notre sensibilité par l’acuité de la sienne.

Pour subjectif et singulier qu’il soit, Bleuets témoigne aussi, à notre sens, de la rigueur et de l’honnêteté intellectuelles de son auteure : ne cessant jamais de s’interroger et de douter, Maggie Nelson pose plus de questions qu’elle ne formule de réponses. Elle ne se départit jamais d’une certaine distance envers elle-même et tente de débusquer ce qui, dans son propos, relèverait de la complaisance ou de la vanité, d’une croyance ou d’un préjugé, d’une illusion quelconque ou d’une erreur.

Il faut signaler, enfin, la vivacité, l’alacrité de son style, et quelques images singulières et évocatrices, parmi lesquelles :

« Toutes ces formules [celles de la psychologie clinique qui “oblige tout ce que nous appelons amour à rentrer dans les cases du pathologique, du délirant ou du biologiquement explicable”] vident l’amour de son bleu pour ne laisser qu’un poisson laid et dépigmenté battre de la queue sur la planche à découper d’une cuisine ».

« Il arrive que certaines choses changent, toutefois. Une membrane peut simplement se déchirer dans votre vie, pareille à l’écaille de peinture séchée qui saute du couvercle d’un pot ».

En deux mots, Bleuets, patchwork rétif au classement, est un livre nourrissant et vivifiant qui rappelle combien ce qui peut sembler anodin et insignifiant à première vue – une couleur – recèle de profondeurs à explorer.

 

Delphine Crahay

 

Maggie Nelson, née en 1973 à San Francisco, est une romancière, poète, essayiste, universitaire, américaine, qui traite, entre autres, des thèmes comme le féminisme, la violence sexuelle, l'identité sexuelle, le genre, la violence dans les médias, l'histoire de l'art et la philosophie.

Ses œuvres les plus connues sont Bleuets et Les Argonautes

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A propos du rédacteur

Delphine Crahay

 

Lectrice fervente et vorace. Etudiante en lettres – on l’est ad vitam –, enseignante dans un passé révolu, brièvement libraire, bientôt stagiaire dans une maison d’édition. Tient un blog nommé Analectes et brimborions, où l’on trouve des chroniques littéraires et linguistiques, des billets d’humeur, des textes aimés, quelques gribouillages.