Bleu tatouage, Marie Causse
Bleu tatouage, décembre 2013, 140 pages, 12,90 €
Ecrivain(s): Marie Causse Edition: L'Arpenteur (Gallimard)
Dès la dernière page fermée – une des meilleures en plus – on se demande quand l’excellent film – et plus noir que celui, serré du comptoir – tiré de ce bijou de livre nous ramènera devant ce Bleu tatouage, en salle, cette fois. Parce que de cette histoire et de son univers, on ne se lasse pas !
Tout petit livre, mais formidable récit, remarquables personnages, hauts comme tout un théâtre. Un bel objet fini, qui tient, tout l’attirail en bandoulière, dans ces quelques pages denses et fines à la fois.
Un modèle de policier ? Eh bien, oui, puisque le genre est servi : cadavre, enquête, milieu glauque de la drogue dans une province sans couleurs ; policiers droits et ripoux ; indics et fonds de bars. Donc, bien un policier… mais, pas à ranger dans la Série Noire. Ailleurs, mais où ? C’est assurément ce côté dérangé et pas mal dérangeant, cette quête de la boîte où le classer (y-en-a-t-il, du reste, une ?) qui nous emmène dans la passion de le lire… dégagez quelques heures, au calme, et dégustez !
Dans ce menu, que préférer, par quelle porte entrer ? L’affaire ? Une camée, « elle a été retrouvée dans une poubelle, probablement une overdose » ; qui l’y a mise ? Porte/Lucie, sa beauté, la laideur de son trip et de son cadavre. Arôme quartiers de L.A. Porte/Benoît, son fournisseur – un « dealer-lettré… son salon et la bibliothèque qui débordait de livres… le reste de l’appartement aussi probablement » ; vend par ailleurs son Cannabis, cultivé à domicile, artisanal, en sorte. « Je fais pousser mon herbe ; 4 récoltes par an ; mon beurre dans mes épinards ». Là, aucun doute sur la note gustative ; bien parisienne, tendance bobo-sympa. Porte/Catherine, la Commissaire divisionnaire, qu’on appelle « Monsieur », c’est l’usage dans la hiérarchie. Ma préférence. Pas sex-symbol (« un physique de Junon, les hanches pleines ») ; une ménopause s’annonçant à l’ombre de la fumée de ses dix-neuf clopes, par jour. Une humanité à couper au cutter, rien que du normal, pas du tout « femme-flic », se la pétant, le flingue élégamment posé sur la hanche, au policier de la 3, le vendredi soir. Porte/l’affreux Indien, le pote de la pauvre Lucie, qui cogne avant de parler ; un voyage en société border line. Porte… d’autres et non des moindres, des flics par exemple… pas bien finauds, frustrés, tellement ordinaires qu’on ferait bien de se méfier… Intrigue bigrement bien ficelée, et pelote, qualité de fils différents, et couleurs, au point que son issue vous laissera bouche bée…
Mais ce livre – policier, certes –, Marie Causse – plus d’un joli tour littéraire dans sa jeune besace – n’a pas voulu qu’il ne soit que cela. Exigeante, la dame ! Livre/documentaire, écrit sauce bonne littérature ; usages au scalpel de la Grande Maison-poulets ; manières des petits trafics de cames (« héroïne, ça faisait rock star, presque glamour ; marron ou rabla, ça passait mieux à la campagne, comme le nom d’un alcool local… ») ; quartiers des bars louches et leurs arrangements… voyage dépaysant comme un « Envoyé Spécial » de la grande époque. Et puis, les sentiments, états d’âme et autres passages dangereusement déprimés de notre gentil dealer, par exemple ; ses parents le croyaient thésard, il avait lâché la fac en milieu de première année de lettres modernes. Délinquant littéraire ? Comment ne pas craquer ! Presque parallèle, le mental de « sa » commissaire, au flair classique et tenace, mais en zigzag. Recommandé pour parcourir le livre : ne jamais oublier son titreBleu tatouage, comme un refrain de comptine. Qui ne sait qu’un bleu de tatouage a peu de choses à voir avec le vrai, le pur du bleu du ciel !
Tout baigne dans un jus normal et le héros reste couché, loin. Et, c’est ce qui nous attache. Les grands coups de gueule des tenants de la loi, campant tels des extra-terrestres au-dessus du troupeau, ont vécu, et planent des interrogations entre chair et peau : pas toujours nets ou fiers… enfin, pas tous les jours, ces policiers-là. Et Causse nous tend le miroir, de plus en plus près… tout se mélange au bout, dans une étrange cuisine… Du Jazz, assez fort, sur cette écriture racée et musclée. Le Saxophone domine…
« Elle était encore toute chaude quand je l’ai prise dans mes bras pour la poser dans la poubelle, et un peu de bave a même coulé dans mon cou comme un baiser ».
Martine L Petauton
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