Blancs-seings, Silvia Majerska (par Didier Ayres)
Blancs-seings, Silvia Majerska, Gallimard, octobre 2024, 68 pages, 12,90 €
Fleurs imaginaires
Ce petit livre, en volume, de Silvia Majerska, détient un pouvoir expressif qui en passe notamment par la nomination de certaines fleurs, arbres, une flore sans considération de noblesse, grâce aux titres en latin de chaque poème, même si ce latin-là est élégant, raffiné, beau à lire. De cela, l’on peut conclure que cette référence au latin appuie le penchant de l’écrivaine vers une expression directe et sans ombre, une essence. Sa langue s’appuie sur ces mots latins comme pour se tenir serrée sur la haute marche du langage. Que cela soit la rose (rosa), le souci (bellis) ou encore le trèfle (trifolium), l’imaginaire de la planche botanique fonctionne comme elle le fait durant l’enfance, émerveillement et mystère des cartes et autres tableaux.
VITIS
de tous les fruits de tout temps,
la grappe de raisin exécute ses algorithmes avec l’ardeur la moins monacale.
L’on pourrait dire que l’auteure utilise la reconnaissance des espèces végétales en ayant recours à la mathématique, ou en tout cas, aux chiffres, comme, peut-être, le ferait la nomenclature des numéros atomiques. Le nombre donc, la prolifération, la multiplication, la métamorphose, la croissance, le principe principiel, le commencement et le recommencement.
Oui, une botanique. Un art d’écrire et de décrire. Un art poétique arc-bouté sur une petite liste de fleurs aussi belles dans la réalité que dans le poème.
LILIUM
échouera qui voudra l’empêcher de germer, de croître, de fleurir,
de ressembler, de faire sens.
Le poème est proche du destin de toute fleur : tension double de croître et de disparaître, de naître et de mourir, croître de nouveau, puis décroître une nouvelle fois pour renaître. Est-ce là une définition du temps ? d’une forme d’éternité à la portée de notre intellection ? Il y a effloraison grâce aux eaux, aux vents et à la terre. Cette flore se pense comme une expression verticale, car beaucoup de ce qui pousse, va vers le ciel, vers la hauteur. Et le poème, fût-il intitulé par un peu de latin, suit lui aussi une ascendance bienheureuse.
Faut-il remercier Linné ou Moseley ? faut-il remercier la poétesse ? ou alors tout simplement le poème ?
à l’étoile du matin, l’étoile du soir.
l’une au fond du flacon, l’autre au sommet, réversibles, mais par-dessus tout liquides comme le huit de l’infini.
C’est ce goût âpre de la fleur (pour qui mange parfois des pétales de rose, donnant une confiture très fine), que l’on ressent et qui ne quitte pas le lecteur. Le langage poétique est tel. Capable d’aller vers lui-même par des voies très diverses. Donc, soûlons-nous avec les fruits du pavot (papaver) comme la poétesse nous y invite.
Didier Ayres
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