Blancs, Brigitte Mugel ; Je te massacrerai mon cœur, Philippe Thireau (par Didier Ayres)
Blancs, Brigitte Mugel ; Je te massacrerai mon cœur, Philippe Thireau ; éditions PhB, 2019, 10 €
J’ai hésité à intituler cette présentation succincte de deux livres que publient les éditions PhB récemment, en questionnant la douleur d’être, qui, me semble-t-il, est inhérente à la personnalité d’un poète. J’ai fini par rassembler mes idées sous l’égide de la fondation, ce qui revenait à dire l’objet réel de mon sentiment. Car c’est bel et bien ce que je retiens des deux lectures des poèmes de Brigitte Mugel et de Philippe Thireau : quelles sont les fondations d’un poète ?
Je me pencherai tout d’abord sur Blancs, livre qui débute sur une série de poèmes qui utilisent le substantif : tête. Donc l’endroit où siège l’intellect, et aussi où habite l’âme, en tous cas, l’esprit de la poétesse. Est-ce conscience de la mort ? est-ce le siège de l’amour ? est-ce une description du corps ? Toutes ces notions se mélangent pour aboutir à ce mot qui revient essentiellement au début du recueil : la tête. Et peut-être est-ce cela qui permet de rentrer dans la matière du poème, rentrer par la tête donc par la partie anatomique qui assure techniquement la possibilité de la lecture.
On est donc convoqué par l’aspect de fabrication de ce lexique – même si le mot tête disparaît notablement au milieu de l’ouvrage, il a été pour moi le fil conducteur. Car écrire de la poésie revient à instruire le procès de l’intellection littéraire. Se recoupent ainsi le monde intérieur, tel que chacun le connaît, et le monde extérieur qui prête au poète un champ d’investigation où les images domestiques, les liens avec la profondeur de l’être, liens partagés par le lecteur, permettent une fusion du corps physique et métaphysique du poème.
Château de sable / souterrains creusés / de la main / du bras / griserie lorsque les mains / vos propres mains / vont pour se toucher / se rejoindre.
Dans l’humidité du sable / vos mains / dans le noir l’une vers l’autre / à tâtons.
Mon château / dans la tête / s’effondre / du dedans / le sable pleut / les souterrains ne communiquent plus.
Les salles sont fermées / tenues au secret.
En second lieu, je voudrais aussi écrire quelques mots sur ma lecture de Philippe Thireau qui, dans son recueil, fait état de ce qu’est sans doute la fondation de sa créativité poétique. Ici, c’est le genre, question qui croise l’enfance de l’auteur et témoigne de la lutte contre la mère. Ainsi, sous son influence, le petit garçon choisit des noms de fille. Fille ou garçon ? garçon devenu fille ? fille qui fusionne dans le garçon ? Tout est envisageable. Et c’est à mon sens le fondement de l’inquiétude qui agite cette poésie.
Du reste, cette écriture joue sur des arêtes, des formules abrégées, du retrait encore apparent de signes en trop, une sorte d’essentialisation (propre d’ailleurs à une certaine école des études de genre). Faire appel à la ligature ou prendre le nom de fille ne se font pas sans angoisse. Néanmoins, on se rassure grâce à des cinquains ou des tercets qui côtoient la poésie orientale dans sa forme brève, tankas notamment. Tout cela pour une lecture en spasmes, jouissance de ce qui manque, de ce qui n’est pas, joie esthétique de la biffure qui se laisse ressentir, intérêt pour la partie invisible que détoure le poème.
virgules et points
sur le papier dessinés
engendre un destin
c’est le songe des fillettes
en papier d’être mangées
ou
observe ta fille
qui crois-tu voir allons dis ?
quelle présomption
la mère qui étreint geint
cesse de t’apitoyer
ou
la pelouse est drue,
rit le prunier bourgeonnant,
la fillette est nue
au près s’entendent des sons
qui l’habillent en grondant
Pour achever ce petit compte-rendu, je dirais que l’univers du poète repose sur une vision de douleur, d’irrésolution, liée sans doute à l’enfance ou à l’adolescence, en tous cas enracinée dans la profondeur de l’être, ce qui en fait une double fondation.
Didier Ayres
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