Betty, Arnaldur Indridason (par Léon-Marc Levy)
Betty. Trad. de l’islandais par Patrick Guelpa. 27 octobre 2011. 206 p. 18€
Ecrivain(s): Arnaldur Indridason Edition: MétailiéDiamant d’un noir étincelant, Betty est un chef-d’œuvre du genre. Un chef-d’œuvre qui va compter dans la littérature noire. Donc dans la littérature tout court.
On a l’habitude avec Indridason de plonger dans un univers sombre, fatidique, marqué par la course tragique des êtres. Avec Betty, notre Islandais favori, qui abandonne pour ce livre son détective fétiche Erlendur Sveinsson, atteint des sommets, signant un polar digne de la plus belle époque, celle des Chandler, des Goodis. Et puis celle de James Cain. Betty commence bien sûr par une épigraphe de lui :
« Ceci devrait être un meurtre tellement désolant que ça n’en serait même pas un, mais seulement un banal accident de voiture qui arrive quand des hommes sont soûls et qu’il y a de l’eau-de-vie dans la voiture et tout ce qui va avec . » (James M. Cain, Le Facteur sonne toujours deux fois)
Et la citation ne s’arrête pas là. En fait, elle ne s’arrête pas du tout ! Jusqu’à la fin du livre, Indridason nous offre une merveille de « remake » du Facteur. Ce n’est pas nouveau. Ce chef-d’œuvre de la littérature noire a inspiré des centaines de livres et de films.
Et même les « remakes » ne sont pas nouveaux. Bob Rafelson, au cinéma, nous a offert en 1981 une nouvelle version fabuleuse du grand film de Tay Garnett de 1946. On sent encore la brûlure des corps et des âmes dans les scènes torrides entre Jack Nicholson et Jessica Lange …
« Remake » donc. Mais bien sûr, ce n’est pas si simple.
Toute la première moitié de « Betty » colle à la trame narrative de Cain. Un personnage, incarcéré pour meurtre, raconte en flashes-back successifs les étapes d’une relation amoureuse incendiaire avec une femme splendide, relation qui l’a mené dans la cellule où il est, attendant son inculpation. Indridason cisèle avec une jubilation évidente un univers directement issu du Facteur. Femme fatale, menteuse, fascinante. Méchant mari, riche, grossier, brutal. Et le narrateur, amoureux et nigaud, dont on sent, dès le départ le destin inéluctable dès qu’il est pris dans la toile d’araignée. Le tout scandé de cigarettes et de coupes de champagne. Le grand classique donc :
Depuis la magie de la rencontre : « Elle était là. Elle était arrivée en retard et je l’avais tout de suite remarquée parce qu’elle était … merveilleuse. Merveilleuse dès l’instant où je l’ai vue pour la première fois entrer dans la salle, au crépuscule. Derrière elle, la lumière du couloir lui faisait un halo, comme à une star de cinéma. »
Aux affres du doute :
« Betty.
Je n’ai jamais aussi bien connu une femme et pourtant, aucune ne m’a été autant étrangère. Elle a été pour moi comme un livre ouvert et en même temps une énigme absolument indéchiffrable. »
Et jusqu’à l’horreur révélée :
« Quand je suis au lit et que je reviens en arrière, je ne parviens pas à déceler le moment où … ma vie s’est transformée en ce long cauchemar dont je voudrais tellement me réveiller. »
« Toute la première moitié » du livre. Oui mais voilà, il y a dans ce livre les pages 108 et 113 ! Et une seconde moitié du livre. Le ciel alors nous tombe sur la tête et cette histoire devient une autre histoire. Un déplacement syntaxique. Quelques pronoms personnels, quelques accords surprenants (au point qu’on peut croire à une coquille d’imprimerie pendant un instant), un glissement de genre, d’abord feutré, puis vertigineux, et Indridason nous emmène avec lui dans son monde à lui. Et en route pour une autre dimension d’univers narratif … Vertige ...
Léon-Marc Levy
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