Bethani, Martine-Gabrielle Konorski (par Didier Ayres)
Bethani, Martine-Gabrielle Konorski, mars 2019, Préface Emmanuel Moses, 68 pages, 15 €
Edition: Le Nouvel Athanor
Le poème-traversée
Pour dire le voyage, il faut faire confiance au lexique de la pérégrination, et aussi à l’aptitude de la langue à immobiliser, à saisir la traversée, la perambulation, cette course faite à la lumière des étoiles de l’Épiphanie par exemple. C’est là le privilège principal du recueil de Martine-Gabrielle Konorski. En effet, tous les poèmes du livre contiennent peu ou prou l’idée du mouvement, d’une quête que la poésie invente et réifie tout à la fois. Ces poèmes disent la mobilité du trajet, de l’exode (et sans doute en relation avec le livre de l’Exode) mais ramené à une errance vers Bethani – Béthanie en vérité – qui en hébreu signifie la maison de pauvreté comme le note Emmanuel Moses dans sa préface. Le voyage se déroule donc non pas dans le lustre d’une croisière pleine de divertissement sans esprit, mais préfère la quête spirituelle, non pas vers l’acclamation, la richesse et l’apparat, mais vers la simplicité, un langage pauvre qui seul garantit la nomination mystique de cette « maison de pauvreté » où campe la poétesse.
Le poème ici ne s’arrête pas aux mots, mais suit cette étoile de Bethléem immatérielle de la nuit intérieure où se guider, inventer une relation au divin, fût-elle une épiphanie spirituelle, qui se réplique dans le soi, dans une toponymie, dans une topique de la présence, en quelque sorte issue de la pauvreté de notre destin d’individu, de créature mortelle.
C’est la route de Bethani
qui s’ouvre devant eux
Grandement des cailloux
sous la poussière
des roues
Ainsi, il faut espérer. Et comme toute créature vouée à son mystère, au secret infranchissable de la mort, on espère la fin des souffrances, on espère un prophète ou le Messie, Moïse ou Jésus Christ, Mohammed, sans pour cela quitter la poésie. Du reste, dans ce recueil, c’est cette poésie ascensionnelle, colline de parole, promontoire spirituel, qui nous porte à éclaircir cette énigme, là dans sa curieuse demeure de pauvreté qui, pour finir, est notre destin charnel, chair toute penchée à la destruction et à la mort, la cendre.
Infinité
des jours sans pluie
Tous les fleuves
dans le cœur
La rose des vents
nous y conduit
Lisons cette poésie de la marche au désert, marche à pied simple et argumentée, tournée vers le village de Beth Ania, marche chtonienne, contact avec le simple élément primordial de la terre, la terre-mère, la terre-lieu, la terre-livre, la terre-Bible. Et ne quittons pas cette pérégrination qui reconduit l’être à Être, à advenir, dessine une route, un chemin de l’exil intérieur, souffrant de la perte et du manque que tout exode provoque et signifie.
La main des étoiles
a été
le seul guide
Traversées sans limites
Éclairements
aux méandres
du vent
La tête portée
par le cri des oiseaux
Didier Ayres
- Vu : 1990