Berthe Morisot, Inquiétude, Elisabetta Rasy (par Philippe Leuckx)
Berthe Morisot, Inquiétude, Elisabetta Rasy, éditions Pagine d’Arte, octobre 2021, trad. italien, Nathalie Castagné, 96 pages, 20 €
Seule artiste féminine du groupe célèbre des Impressionnistes, Berthe Morisot dut longtemps lutter pour imposer sa figure, échapper aux carcans académiques et à l’influence d’un groupe auquel elle adhéra d’emblée (dès 1874). Son parcours est fulgurant et son entêtement à peindre, à faire de la peinture un véritable métier, aussi remarquable.
Elle a deux sœurs, Yves et Edma, qui se marieront, échapperont à leur destinée artistique. La mère, Madame Morisot, se moque des desseins de sa plus jeune fille Berthe, ne croyant jamais à ses dispositions naturelles.
Berthe sera d’abord modèle d’Edouard Manet, pour de nombreux tableaux. La fille, aux grands yeux verdâtres, que l’artiste représente en noirs, apprendra à connaître le milieu avant de s’y fondre avec une ténacité qui fera d’elle « la Dame des Impressionnistes » et au fil du temps, malgré les réticences de certains critiques, une figure respectée du groupe nouveau de peinture. De 1874 à 1886, elle participera à presque toutes les Expositions du groupe. Elle en est la seule femme.
Le livre de Rasy rappelle avec brio toutes les étapes d’une vie, commencée en 1841, pour s’achever à cinquante-quatre ans, en 1895. Ce parcours aura connu nombre de vicissitudes – longtemps célibataire, et forcément décriée pour son indépendance. Elle épousera enfin Eugène Manet, frère d’Edouard. Elle aura une fille, Julie, qu’elle peindra souvent.
Contrairement à nombre d’artistes de la même école, Berthe ne peint que des scènes intimes, d’une intériorité féminine. Pas de champs de courses ni de fleuves ni de goguettes ni de guinguettes ! Elle épouse les intimistes atmosphères de l’univers féminin, avec doigté, élégance, faisant un sort à l’huile, lui réservant la patine des aquarelles. Berthe, d’emblée, se veut indépendante, dans la forme, dans les sujets. Très, très, tard, elle concédera à peindre des nus.
L’univers de Morisot échappe donc souvent aux clichés qu’une certaine critique réserve à l’impressionnisme. C’est un univers tissé de douceur, de pénétration discrète et prégnante. Empreint d’une intense mélancolie. Les titres (Psyché ; Fillette ; Autoportrait) cernent bien l’intériorité requise par l’artiste. Peu de femmes dans le XIXe pictural. L’académisme avait sa Rosa Bonheur, ancrée dans un régionalisme un peu forcé. Seule Morisot échappe à cette exclusion féminine de tout un siècle français.
L’essai d’Elisabetta Rasy a l’heur de nous ramener à cette époque bien agitée où les académiques décrient les formes nouvelles en art. Les pressions (Salons officiels) étaient alors fermes et peu renversables.
La conviction d’une jeune artiste, Berthe Morisot, a eu raison des pires murs dressés sur son parcours. Elle méritait cette reconnaissance.
Un très bel album.
Philippe Leuckx
Elisabetta Rasy, écrivaine italienne, romancière, essayiste, est l’auteure entre autres de Figures de la mélancolie.
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