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Bénédict, Cécile Ladjali

Ecrit par Sana Guessous 08.01.18 dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Roman

Bénédict, janvier 2018, 272 pages, 20,80 €

Ecrivain(s): Cécile Ladjali Edition: Actes Sud

Bénédict, Cécile Ladjali

 

Il n’est pas désagréable de cheminer entre les pages de Bénédict, le roman de Cécile Ladjali, à paraître en janvier 2018 chez Actes Sud. Les phrases sont d’une grande coquetterie. L’autrice les a parées de mille atours étincelants. « Les rais brûlants strient la dalle glacée » ; « Les fougères sourient à l’ombre de la source vive » ; « l’aube métallique fait entendre les carillons d’une partition de Purcell ». La forme de ce roman m’évoque un jardin à la française, taillé avec élégance, d’une symétrie parfaite. Une forme polie, policée, qui jure cruellement avec le fond, plutôt dérangeant.

Le fond ? C’est l’identité contrariée, déchirée de Bénédict Laudes. Le personnage central du roman s’empêtre dans un corps qui lui est étranger, qui l’encombre. En exil dans sa propre chair, Bénédict refuse l’image lisse et normée que la société lui assigne. « Non, vous n’êtes pas entièrement là », lui reproche quelqu’un. « Une partie de vous est ailleurs. Et c’est cette autre moitié qui m’inquiète. Je la devine à cette heure tardive, entre chien et loup, quand les étudiants sont partis et que nous sommes seules sous le chuchotement des arbres. Il y a quelque chose en vous que je ne comprends pas et qui me fait peur. Quelque chose qui se brouille. Qui s’efface comme le jour. Oui, vous me faites peur ».

Aux soupçons, aux définitions étroites de son identité sexuelle, le personnage de Cécile Ladjali tente d’échapper en dissimulant – à peine – son étrangeté, et en voyageant sans cesse. Embarqué sur les mots – Bénédict est un charismatique professeur de littérature comparée –, cet Irano-suisse partage également son temps entre les universités de Lausanne et de Téhéran. Dans la capitale iranienne, la dichotomie est plus marquée : affublé d’un voile et d’un vêtement féminin le jour, Bénédict Laudes endosse son habit d’homme pour errer la nuit dans les rues interlopes, à ses risques et périls.

« Sur le boulevard, on remplit ses poumons de liberté. On fume cigarette sur cigarette. On marche les mains dans les poches. On salue les hommes qui jouent aux échecs sur le trottoir. On marche. On est ivre. Et la lune là-haut. Complice. On s’enfonce dans la grande ville comme on entrerait dans un sexe de femme. Doucement au début. Délice. Puis on va vite. On court presque. La ville ne nous résiste pas. Elle se donne. Elle s’ouvre. Elle est douce. Elle déborde. Elle se tord sous nos pas ».

Je m’attends à un récit pulsionnel, volcanique. Un homme emprisonné dans un corps de femme : qu’est-ce que ça fait à l’âme ? Est-ce que ça tord, est-ce que ça brûle ? Est-ce que ça glace le sang ? Est-ce que ça engourdit, inocule le lent poison du désespoir ? J’attends que quelque chose de puissant m’emporte loin des jolies phrases finement tissées. Je veux « m’identifier » à ce personnage, m’émouvoir de son « exil intérieur », savoir ce qu’il ressent. J’attends le moment où Bénédict Laudes va s’arracher à ses pensées pour enfin me parler, enfin s’incarner et pas seulement effleurer mes synapses comme une vague idée ou la possibilité d’un être.

Hélas, la magie n’opère pas. L’étrange androgyne m’arrache des soupirs contemplatifs, et c’est à peu près tout.

 

Sana Guessous

 


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A propos de l'écrivain

Cécile Ladjali

 

Cécile Ladjali, née en 1971 à Lausanne en Suisse, est une enseignante, écrivaine et femme de lettres française.

 

A propos du rédacteur

Sana Guessous

 

Rédactrice

 

Journaliste marocaine