Beigbeder l’incorrigible, Arnaud Le Guern
Beigbeder l’incorrigible, éd. Prisma, novembre 2016, 297 pages, 19,95 €
Ecrivain(s): Arnaud Le Guern
« L’enfance : figure biographique ennuyeuse. Beigbeder heureusement facilite notre tâche. Il est dans chacun de ses textes. A peine masqué. Il suffit de lire. Reflet déformé, juste ce qu’il faut. Pour tout savoir sur l’enfance de Frédéric Beigbeder, ouvrir Un roman français. Prix Renaudot 2009. Son meilleur livre. Mise en bouche parfaite d’une vie de feu follet ».
Voici le livre plus inutile publié ces derniers temps, pourrions-nous écrire en souriant, un livre inutile sur un écrivain qui ne l’est pas moins, pensent les observateurs vigilants et autres critiques littéraires aguerris – les gardiens de la Librairie. Inutile écrivain mondain, corrupteur de jeunes lectrices et de vieux barbons de prix littéraires. Animateur bavard qui sévit sur des chaînes câblées, complice publicitaire de la disparition de la littérature française, amuseur public qui ne fait rire que ses admiratrices corrompues et ses éditeurs lorsqu’ils gagnent de l’argent. Arnaud Le Guern pourrait être son jeune frère caché, amateur de plages et d’espadrilles, admirateur de Brigitte Bardot, de Maurice Ronet et de Paul Gégauff, en un mot, un amuseur, qui prend plaisir à écrire des livres tout aussi éphémères qu’un dessin tracé à la main sur le sable d’une plage basque à marée basse, en attendant que les vagues ne le recouvrent.
« De mon enfance ne demeure qu’une seule image : la plage de Cénitz, à Guéthary ; on devine à l’horizon l’Espagne qui se dessine comme un mirage bleu, nimbé de lumière ; ce doit être en 1972 avant la construction de la station d’épuration qui pue, avant que le restaurant et le parking n’encombrent la descente vers la mer » (Un roman français, Grasset).
Voilà le livre le plus pétillant publié ces temps derniers, pourrions-nous ajouter. Un livre à lire, une coupe de champagne, un mojito ou une vodka Zubrowka glacée entre les doigts de la main gauche, à lire – il suffit de lire ! – comme l’on feuillette un album souvenir d’écrivains admirés et célébrés – Antoine Blondin, Françoise Sagan, Bernard Franck et Scott Fitzgerald –, que Beigbeder et Le Guern fréquentent depuis longtemps. Des désenchantés talentueux – d’autres s’invitent sur la pointe des pieds dans Beigbeder l’incorrigible –, passionnés de vitesse, d’hôtels de luxe, de jeunes femmes ou de jeunes hommes, de jeux de hasards, d’alcools, d’ennuis et de démesures, histoire de penser que Paris et Guéthary valent bien un roman. Beigbeder l’incorrigible est la biographie d’un feu follet par un autre feu follet, pas étonnant que les phrases y dansent et y chantent nuit et jour, et finalement qui s’en plaindrait ?
« En 2002, Beigbeder s’est amusé, mais il a morflé. C’est souvent ainsi. Il faut faire payer le succès. Depuis 99 francs, Beigbeder la ramène trop. On le voit partout. Il est dans les journaux, passe à la télé. Il parle trop fort, rit comme une hyène. Ça suffit. Il s’agit de le calmer. En finir avec cet enfant trop gâté. Tout est mis en œuvre pour lui nuire. Ne rien laisser passer de ses outrages ».
Voici Beigbeder l’incorrigible romancier, chroniqueur – Voici, Playboy, Le Figaro Magazine – et noctambule flottant, écrivain entêté, qui sait lire, et faire lire. Il prend ses livres à la légère, ce qui ne veut pas dire qu’il les bâcle. A les lire, à les relire, sous l’œil aiguisé et la plume bondissante d’Arnaud Le Guern, autre noctambule lettré, on comprend mieux la colère qu’ils suscitent chez quelques jaloux ronchons, ou chez deux ou trois fâcheux. Ses petits livres naissent tous d’une chansonnette, d’une mélodie – qui parfois devient rugueuse – que l’on fredonne – comme l’on peut s’imaginer quelques Girondins en chantonner lorsque les serviteurs de l’Etre Suprême les traînaient vers l’échafaud –, des livres légers et flottants, rapides et vifs et parfois désenchantés. Beigbeder ne laisse jamais la langue s’attarder, elle virevolte, il l’entraîne sur une piste de danse où évoluent quelques troublantes jeunes femmes, des amoureuses en partance, d’autres qui s’invitent, des traîtres et des jaloux, des mondains perplexes, des cinéphiles, des russes tendus, et où les dialogues claquent et les répliques clignotent comme les gyrophares des voitures de police dans la nuit parisienne. Au bout du compte, ce sont des romans follement français.
« En éternel gamin de Guéthary, où il passe désormais la moitié de son tems, Beigbeder parle aussi de Paul-Jean Toulet : “Orphelin de mère, il a cherché sa beauté toute sa vie, partout, l’a retrouvée parfois, et perdue souvent”. Beigbeder, jamais, n’oublie Toulet. Son ancre poétique du Pays basque ».
Voici la biographie la plus réjouissante de l’année (passée), et ce n’est pas très surprenant lorsque l’on sait qu’elle succède à celle consacrée à Roger Vadim – beau, désinvolte, paresseux, joueur, dilettante –, même ton, même style, pour être heureux faisons bref, pourrait-il écrire en ouverture de chacun de ses opus. Du cinéaste à l’écrivain, il n’y a qu’un pas. Un pas de danse, l’élégance du surfeur ou du joueur de pelote basque à main nue, en équilibre permanent, jambes souples, bras qui s’envolent et embrassent l’espace, vivacité, légèreté, tout un art du jeu, du plaisir de jouer, et d’écrire.
Philippe Chauché
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