Beethoven par lui-même, Nathalie Krafft (par Augustin Talbourdel)
Beethoven par lui-même, Nathalie Krafft, novembre 2019, 160 pages, 21 €
Edition: Buchet-Chastel
Beethoven avait pour devise : Nulla dies sine linea (Pas un jour sans une ligne). Ligne de musique, mais pas seulement. Les Lettres et Cahiers de conversation, tenus par le compositeur sourd pour communiquer avec son entourage, témoignent de la nécessité d’écrire, et de préférence selon la spontanéité chaotique de ses humeurs. Les pensées du Maître, à l’image de la ponctuation qui les rythme, nous sont livrées à l’état de fragments. « Plutôt émotion exprimée que peinture descriptive » écrit-il sur la page de titre de la sixième symphonie, dite « pastorale ». Son style écrit obéit à cette injonction musicale : en témoigne l’emploi fréquent des tirets dans ses lettres, « Gedankenstriche » – qui signifie littéralement « tirets de pensée » – si commun à la poésie allemande des XVIIIe et XIXe siècles. Beethoven est musicien jusque dans ses lettres, non seulement dans leur contenu – il était, comme Schumann et Wagner plus tard, ses deux héritiers allemands, autant littéraire que musicien –, mais aussi dans leur forme : sa langue chante et il rassemble ses morceaux de pensées comme il compose ses mélodies.
Beethoven n’avait pas seulement pour maîtres Haydn, Bach, Haendel, Mozart et Gluck, mais aussi Shakespeare, Homère et Schiller. Aux premiers, notamment Bach et Haendel, il voue une admiration sans bornes : « les Anciens nous sont utiles, et même doublement, en ce que la plupart de leurs œuvres ont une réelle valeur artistique (bien qu’il n’y en ait parmi eux que deux à avoir du génie, l’Allemand Haendel et Sebastian Bach) » écrit-il à l’archiduc Rodolphe, ami et élève du compositeur. Sa relation avec Haydn, son ancien professeur, fut plus tendue, comme l’indique l’adieu mitigé de Haydn au compositeur en 1793 – « vous sacrifierez les règles à vos fantaisies » – et le refus de Beethoven de signer ses compositions, comme le souhaitait son maître, par « Ludwig von Beethoven, élève de Haydn ». À l’inverse, il suscitera l’admiration de la plupart de ses contemporains, à commencer par les jeunes Liszt – leur rencontre relève de la légende, selon Nathalie Krafft – et Schubert.
« Je suis un pauvre musicot autrichien » aime-t-il répéter dans ses lettres. Beethoven est un écrivain féru de lecture qui compose de la musique à ses heures perdues, pour emprunter une formule de Glenn Gould. Le compositeur de Fidelio conseille la lecture du Wilhelm Meister de Goethe et « le Shakespeare traduit par Shlegel » à Thérèse Malfatti dans une lettre qui date d’après leur rupture. Il connaît la littérature française du XVIIe siècle, notamment Le Neveu de Rameau de Diderot et L’Ingénude Voltaire. Il admire Hoffman et Walter Scott, jusqu’à les relire à la fin de sa vie. Sa relation avec Goethe est ambigüe : malgré leur admiration mutuelle, les deux hommes avaient deux tempéraments trop marqués pour ne pas avoir certaines querelles, notamment lors de la célèbre promenade à Teplitz, dont il ne reste guère de traces écrites, sinon le tableau de Carl Röhling.
Beethoven s’est-il fait sourd comme Nietzsche s’est fait fou, selon la théorie de Gide ? Probablement pas. Cependant, qu’il l’ait cherché ou non, le compositeur s’est donné les moyens de sa principale ambition : « saisir le destin à la gorge ». Entièrement sourd à partir de ses vingt-sept ans, le compositeur souffre de son ouïe davantage en société que dans la musique, au point de vouloir mettre fin à sa vie, souhait qu’il émet en octobre 1802 dans une lettre testamentaire qu’il écrit à ses frères mais qu’il dit destinée à l’humanité entière. Il ne le fera pas, car « l’art, cet être persécuté, trouve partout un havre ».
Augustin Talbourdel
Nathalie Krafft est journaliste. Elle a été directrice de la rédaction du Monde de la musique pendant quinze ans. Elle est l’auteur de la nouvelle édition des Cahiers de conversation de Beethoven, parue en 2015, et, avec Eric Tanguy, d’Ecouter Sibelius, paru en 2017, les deux chez Buchet-Chastel.
- Vu : 2006