Bathyscaphe de plumes, Philippe Guillard
Bathyscaphe de plumes, Ed. Wallada, coll. La merlette moqueuse, avril 2017, 99 pages, 10 €
Ecrivain(s): Philippe Guillard
Des coïncidences magnétiques allument parfois leur brasier d’oiseaux dans le feu de l’inspiration. Un seul signe suffit. Ainsi, en tournant autour de ce Bathyscaphe de plumes signé Philippe Guillard, avant d’entamer ma part du voyage, je pensai d’emblée à L’Aigle noir de Barbara. Rien à voir, si ce n’est la réapparition d’un Oiseau noyé dans l’océan noir d’une réalité plombée, et s’en expulsant à force d’envols à la rescousse, notamment par l’envergure des mots. Rien à voir, si ce n’est dans les remerciements du poète adressés sur le seuil du livre, l’évocation de Barbara, justement.
Le voyage commence par la marche d’un homme. Le temps nous propulse plus loin que nos erreurs du passé, faisant de nous sur les bifurcations de notre cheminement, des enjambeurs de l’infini. Quand la courbe du temps s’inverse par le voyage initiatique et magnétique des mots, le poète approchant de « l’instant du mourir » peut espérer ici, maintenant, se retourner et naître.
« (…)
Maintenant que je marche le long d’un chemin long
et que tout me revient qui veut sortir.
Comme remonte la mémoire à l’instant du mourir.
À moins que je ne sois en train de me retourner et de naître.
Tout est tellement à inverser.
Car ce qui est pour quelqu’un une entrée, est pour un autre
une sortie.
Alors, et si j’étais en train de naître alors que pourtant
tout me dit que je suis en train de mourir.
Je me suis tellement trompé. Tout le temps. Tellement tant.
Oh oui. Si je pouvais être en train de naître ».
L’amour bouleverse le temps des hommes, nous prodiguant l’espoir que tout peut recommencer, recréer le premier cri.
« Si tout pouvait recommencer maintenant.
Le soleil. Et cette nuit au bord de la fenêtre
où je t’ai retrouvée. Moi qui t’avais perdue il y a longtemps
si tout pouvait recommencer. À rebours. Maintenant.
Le soleil. Et toi dedans. Maintenant. Aux deux bouts
De l’infini ».
Retourner à l’origine – la quête du Big Bang à et où (se) recommencer – reviendrait à « ne garder que le cri » face au silence « inépuisable, insécable ». Revenir au monde originel avant que n’adviennent les mots, revenir aux mots originels du monde. Le doute et le constat de s’être trompé travaillent immanquablement le poète cherchant « l’issue du labyrinthe / à travers (sa) vie, afin de déséchouer et d’amarrer ». La nuit éclaire ce qui reviendra « demain matin » (Léo Ferré), advenu hier, l’urgence intérieure, insurrectionnelle revêtant nos silhouettes temporelles en quête de « l’éternité de l’instant de l’amour » (Léo Ferré). Pour le Bathyscaphe de plumes chaque jour et les mots « sont d’une texture nouvelle » : « Ils ont été coulés demain matin » (La Solitude, Léo Ferré). Si le temps nous est compté, il l’est par le rythme de cet « affouillement » liquide organique cosmique où le trémail du vécu résonne des voix anciennes et de celle active de nos carcasses ballotées d’existants « appel(ant) à la grâce ».
La Mémoire et la Mer (Léo Ferré) remonte d’« il y a longtemps, si longtemps », brassant mêlant nos univers reliés les uns aux autres et aux « embryons de galaxies », qu’hier est aujourd’hui qui est demain matin, et nos escapades nous grandissent, tout à tour « jardin sans blessures » dans le berceau de l’innocence, puis Amour dans le ventre duquel « Nous était rêvé », avant de « (s’)appuyer contre du vide » d’où nous extraire par propulsion (ré-)créative. Le Bathyscaphe de plumes du poète Philippe Guillard figure en sa singularité l’esquisse de nos existences balbutiantes pourvu que l’on y mette le jus d’un soleil magnétique, poétique à chaque instant de l’éternité qui passe. Et même si c’est « la pluie noire qui (lui) coule dedans », le poète s’ébroue, debout ou fauve fourbu, dénouant les écueils, plongeant en apnée pour mieux ressortir la tête haute réappareillée par le vent le soleil et les mots, tête habitée par le rêve et le réel où chercher un cœur par le franchissement des « remugles de lumière ».
Un trésor enfoui repose dans les profondeurs comme maritimes, un Bathyscaphe de plumes près d’émerger à tire-d’aile mouillée, le corps non noyé, l’âme rescapée, l’envol salutaire des mots changeant le « cercueil duciel » en cri du ciel… Écoutez aussi cet « essaimage vibratile de quelques poèmes-chansons » signés par le comédien-poète-auteur compositeur Philippe Guillard et voyez comme le Bathyscaphe de plumes continue toujours de surgir, éclaboussé d’eau de soleil portés par l’autan libre et libertaire, fraternel, de la poésie. Il surgira, vivant rescapé,
« En criant, Où mon soleil Où ma lumière ? Où ma fontaine ?
Où mes racines ? Où ce qui commence ? À quand l’arrêt
des garrots, et de tout ce qui étrangle, strangule étouffe ! »
Il surgira encore, tourbillonnant en ses phosphorescences, Anecdotus et profundis pour reprendre le titre d’un projet de récit dont le livre nous offre ici en sa dernière partie des extraits.
Oiseau-Homme-Poisson de l’extrême sur le fil tenu et ténue de « la beauté (qui) hurle », le poète est ce navigateur solitaire aux côtés des autres, battant les sentes du ciel, brûlant son rêve flambeau neuf et sans cesse reformulé, par « les deux bouts de l’infini »…
Murielle Compère-Demarcy
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