Barques renversées, Federigo Tozzi (par Philippe Leuckx)
Ecrit par Philippe Leuckx 16.09.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Italie
Barques renversées, Éditions La Barque, janvier 2021, trad. italien, et postface, Philippe Di Meo, 96 pages, 18 €
Ecrivain(s): Federigo Tozzi
Entre philosophie, psychologie de l’intime et aphorismes, le livre du romancier italien, disparu si jeune, propose une véritable sagesse, selon un regard décapant, toujours vrai.
L’âme – mot qui sans cesse revient le long de ces pages – connaît tourments, doutes, découragements, hésitations, et les pensées de l’auteur prennent la forme d’une étude très analytique, très clinique des soubresauts de ce cœur qui penche, qui pense, qui aime, qui doute.
Écrits entre 1908 et 1911, et partiellement parus du vivant de l’auteur, ces textes des Barques renversées avoisinent les cheminements spirituels des géants Pessoa et Proust, quasi à la même époque de gestation de leurs œuvres. Certes, aucun des trois ne connaissait les autres ; toutefois une parenté d’étude saute aux yeux. Aux intermittences proustiennes et aux cogitations multiples du Portugais répondent les pensées de Tozzi.
On est frappé par le caractère à la fois incisif et compulsif de ces notes qui dépiautent l’âme, mettent à nu les plus intimes pensées, révèlent une intelligence et une acuité de haute lice.
J’insiste pour dire que l’âme ne doit pas s’occuper des souvenirs (p.21).
Souvent, souhaitant que nos actions nous semblent parfaites, nous nous inquiétons excessivement (p.64).
Mais un livre de psychologie ne peut avoir aucune conclusion, parce qu’il doit être l’analyse minutieuse et ininterrompue de ce qui survient en nous (p.80).
Une grande sagacité procède à l’élaboration de chaque note : l’auteur fore en lui, jusqu’à trouver ce puits de nuances, de tremblements, de questions essentielles. Le livre s’adresse autant à soi qu’à un public qui pourrait prendre à la lettre chaque remarque, chaque analyse, toute réflexion, puisque le terreau étudié appartient à toutes et à tous. Une grande ouverture préside à l’écriture puisque l’auteur ne sait pas « ce qu’il porte en lui ». Il s’interroge et fonde sa recherche sur cette quête de soi « ininterrompue » et féconde. Tout passe au crible de son examen « clinique » : les regrets, les remords, les amitiés, le destin (grande puissance à contrôler par l’âme).
En quatre-vingts pages denses comme l’étude sans complaisance des ressorts d’une personnalité intime, le livre met la conscience à nu pour décrire ce « qui survient » en nous, tous les jours, ce qui change, ce qui construit une âme réfléchie.
L’écriture, superbe, jamais ostentatoire ni prétentieuse, mais juste, équilibrée, claire et précise, donne à ces textes leur pesant de vérité et d’originalité. L’excellente traduction de Di Meo offre à l’auteur disparu un bien beau tremplin pour relire ou découvrir son œuvre romanesque. Voilà un univers de pensée, contemporain des grands découvreurs (Svevo, Pessoa, Proust) qui est exemplaire de netteté et d’intérêt, aujourd’hui, plus que jamais. Il faut lire Tozzi pour voir à quel point une âme peut s’éclairer sans verser dans l’égotisme (Barrès, Gide).
Philippe Leuckx
Federigo Tozzi, né en 1883, est un auteur italien mort en 1920. Il a publié, entre autres : Bêtes ; Les yeux fermés ; Le Domaine.
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A propos de l'écrivain
Federigo Tozzi
Federigo Tozzi, né à Sienne en 1883, mort à Rome en 1920, est romancier et nouvelliste italien. Auteur de Les Bêtes (1917), Les yeux fermés (1919) et de deux ouvrages posthumes, Trois croix, et Le Domaine (1920 et 1921).
A propos du rédacteur
Philippe Leuckx
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Philippe Leuckx est un écrivain et critique belge né à Havay (Hainaut) le 22 décembre 1955.
Rédacteur
Domaines de prédilection : littérature française, italienne, portugaise, japonaise
Genres : romans, poésie, essai
Editeurs : La Table Ronde, Gallimard, Actes sud, Albin Michel, Seuil, Cherche midi, ...