Banquises, Valentine Goby
Banquises. Août 2011. 246 p. 18 €
Ecrivain(s): Valentine Goby Edition: Albin MichelUn point de départ simple et une histoire simple pour Banquises de Valentine Goby : une jeune femme part sur les traces de sa sœur disparue trente ans plus tôt lors d’un voyage au Groenland.
D’abord camper les personnages. C’est ce que fait l’auteure dans le premier chapitre. Le père. La mère. Les deux sœurs, Sarah et Lisa. Sarah, l’ainée, a une passion : la musique, le beau son, les salles de concert, qu’elle visite de par le monde comme d’autres visitent les musées. Une passion envahissante. Du coup tout le monde oublie un peu la petite, Lisa. Et puis le drame : un jour Sarah quitte la France pour le Groenland. Quelques mois plus tard l’avion revient sans elle. La mère s’enfonce dans la dépression. Le père trouve des dérivatifs. Lisa est toujours ignorée, non pas en raison de la trop grande présence de sa sœur, mais cette fois en raison de sa trop grande absence.
Petit à petit, en parallèle au voyage de Lisa au Groenland, nous apprenons à mieux connaître Sarah et quelques moments importants de sa vie, comme l’agression par un chien de vagabond, et la mort de l’une de ses amies. Et au fur et à mesure que tournent les pages se pose une question : est-il possible d’en savoir moins sur ses proches qu’un biographe sur la personne qu’il étudie, ou un glacionaute sur les cent mille ans qu’il a dans sa carotte ? Que sait Lisa sur sa sœur Sarah ? Que sait le « fils de Paul-Émile Victor » sur ce père « si souvent absent qu’il ne lui a pas lu d’historie, le soir » et qu’il appelle « PEV, comme tout le monde », et dont la recherche des lieux habités autrefois par ce père dans le cadre de ses célèbres explorations, ne donnera rien de plus. Tout finit par disparaître ? « D’abord le corps, la mémoire ensuite » ? Alors, la recherche de Lisa sur les traces de sa sœur sera-t-elle vouée à l’échec ? « Si c’est ça on ne sait rien de Sarah, rien de ce qu’on pensait savoir. Et croyant marcher sur ses traces, ici, on la perd encore. »
Bien sûr une grande partie de ce roman est consacrée à l’analyse des réactions des principaux personnages concernés par la disparition de Sarah : le père, « saturé de chagrin » mais qui tente de résister ; la mère, face à ce « un silence pire que la mort », ne pense qu’à un retour toujours possible, et Lisa, la sœur, qui subit, qui a du mal à exister, à s’affirmer, encore plus oubliée que durant son enfance. Que faire devant l’absence, et surtout devant une absence inexpliquée, inexplicable ?
Ce très bon roman est aussi un reportage dans certains endroits de la planète qui sont en train de disparaître. Groenland. Banquise. Réchauffement. Sonnette d’alarme. D’abord la fin probable de la vie sociale : moins de pêche, moins de revenus, moins de nourriture, alors il faut tuer les chiens. Puis un jour il n’y aura plus de vie, et plus personne ne sera là pour raconter.
Les premières lignes : « Au sous-sol, le niveau départ, sous chape de ciment brut, plafond traversé de bouquets de fils électriques à nu, de câbles et de néons en barre. On y est sans y être, à l’aéroport. Des portes automatiques trouent ça et là le béton, laissant voir des portions de la route circulaire, silhouettes floues, carrosseries de voitures et de cars Air France mal détourés dans l’obscurité – dehors, à vingt mètres de ce boyau, invisible, le jour. » Éditions Albin Michel 2011.
Lionel Bedin
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