Ballades et Stances, Germont
Ballades (éd. La Coopérative, 2016, 8,50 €), et Stances (éd. La Coopérative, 2016, 11€)
Ecrivain(s): Germont
Comme Germont, le poète que publient pour la troisième fois les éditions de La Coopérative, reste un inconnu, voire un mystère, il ne subsiste que l’œuvre pour vadémécum de sa présence, et c’est au bénéfice de la littérature. En Effet, Germont se colore d’intrigues et de secrets. Qui est-il, celui que garde Jean-Yves Masson depuis trente ans parfois dans ses tiroirs, pour le mettre à jour vivement et avec intelligence ? Or ces poèmes relatent un temps historique, celui des années quatre-vingt, dans une langue ouvragée et belle, un peu précieuse parfois, mais avec beaucoup de charme – que l’on rencontre chez Rilke, le Rilke des années de jeunesse. Et cela pose la question de l’œuvre ou de l’homme, quand ici, avec ces poèmes assonancés et très réguliers, il n’y a aucun rite social de l’auteur en jeu. Car certains, de nos lettres françaises, abusent et usent de la notion d’artiste/spectacle pour valoriser des recueils maigres et indigents. Ici, chez Germont, on ne connaît que ces trois recueils qui dessinent une présence un peu fantomatique et qui fait du bien.
Ces deux livres, Ballades et Stances, reprennent la forme académique des titres (des chansons et des quatrains) avec méticulosité et rigueur, sans pour autant tourner le dos au temps qui se déroule avec le poème, qui n’est pas écrit en réaction contre une modernité, mais dans un ailleurs de l’expression d’aujourd’hui, et c’est un bienfait. Car ces formes sont prétextes pour délivrer un sens à la beauté, à l’amour, aux heures mortes de la jeunesse. Et même si on peut penser que les deux livres ont été rédigés dans un intervalle de temps peut-être important, cela ressemble aux deux formes prises par La meilleure jeunesse de Pasolini qui, comme le souligne Dominique Fernandez, se recoupent pour faire le portrait d’un état du désir.
Je l’ai tué pour ne pas lui faire de peine.
Avec quelle émotion ai-je remonté la rue enchantée
Dans la nuit amoureuse de ma seule découverte.
Qu’importaient les journées à venir et leur cruauté
Auprès de la plénitude de l’amour révélé.
Il n’est pas nécessaire de s’arrêter à une mort incertaine
Quand les années exultantes s’apprêtent à célébrer
Le bonheur enfin reconnu de ce siècle.
Ce qui ne fait aucun doute, c’est la qualité de la culture classique du jeune Germont, qui maîtrise sa propédeutique et qui navigue avec aisance dans les figures de l’Antiquité. C’est d’ailleurs un second motif dans le tapis – si l’on considère que Germont-homme fait partie de cet autoportrait poétique à travers ces deux recueils – cette anxiété de la personne cultivée, cette angoisse de celui qui sait les temps anciens et la fin des mondes antiques, médiévaux, renaissants, romantiques ou modernes, et qui traverse cette culture comme un champ déjà ensemencé, si vaste, et qu’il faut encore retraverser, cette fois-ci avec la foi d’un poète qui sait la postmodernité et son accablement.
Que reste-t-il ? Tes pas sont effacés de tous les chemins,
Toutes les pièces où l’on aime sont vides de ta présence.
Ton souffle s’est dissipé, ta poitrine s’est éteinte,
Et seul le vent respire sur le tombeau de tes cendres.
ou
Mais je suis heureux, seul dans l’ivresse du jour,
Mon regard boit la coupe débordante de la lumière
Qui même sans l’accord de ta beauté m’éclaire.
Je sors, comme appelé par la joie d’un rendez-vous.
ou
O statuaire, répands des fleurs sur les boucles de marbre,
Pose dans la main mélodieuse la cithare nostalgique.
Anime comme la lumière un diamant impassible
Le dur regard de ton dieu que sa froideur lasse.
On pourrait peut-être rapprocher la tentative intellectuelle de Germont, celle de tenir ensemble la haute culture et la totalité du désir et de ses fantômes, de celle du peintre Gustave Moreau, qui symbolise les hautes phases de notre culture avec un surcroît de détails qui à la fois brouille le sujet et lui donne forme. Germont taille la langue de cette manière, jusqu’au point de rupture du lyrisme, et avec une rigueur académique qui tient comme corsetée la signification – et qui cependant lui est nécessaire. Donc, tous ces motifs sont dans le tapis poétique de ces livres, qui restent sobres et attirants.
Didier Ayres
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