Badawi, Mohed Altrad
Badawi, 254 p. 6,60 €
Ecrivain(s): Mohed Altrad Edition: Babel (Actes Sud)
A quel prix se paye la conquête de la liberté ? Cette dernière doit-elle passer par l’effacement de sa vie, de ses origines, de ses racines ?
Mohed Altrad, dans son roman Badawi pose cette question, sans que celle-ci ne revête jamais un caractère inactuel ou passéiste.
Un jeune bédouin, Maïouf, est en bute aux contraintes imposées par sa famille, qui lui interdisent l’accès à l’école, une liberté de mouvement minimale, le libre choix de sa conjointe. Pour conquérir cette liberté, Maïouf fréquente l’école presque clandestinement, se joue de l’influence néfaste exercée par sa grand-mère, personnage habité par la volonté de nuire et de répandre le mal autour d’elle. Cette libération passe pour le jeune Maïouf, par l’excellence scolaire. Il l’atteint, se fait remarquer par ses enseignants, qui lui offrent une place dans un pensionnat, à Raqqah, localité de Syrie pas comparable à Damas ou Alep dans ses dimensions, mais qui lui ouvre les portes vers le monde extérieur. Sa situation de fils d’une femme répudiée entretient également sa révolte intérieure.
A Raqqah, il fait la connaissance d’une jeune fille, Fadia, dont il peine à reconnaître la nature des véritables sentiments qu’il éprouve à son égard : il en est amoureux, un peu comme le personnage principal du Grand Meaulnes d’Alain Fournier, promettant à cette jeune fille de l’attendre, de réaliser avec elle une union aboutissant à la naissance d’un enfant, le tout situé dans un futur indéterminé.
Après avoir obtenu une bourse du gouvernement syrien, Maïouf, qui a changé son prénom pour se faire appeler Zaher, « le victorieux » fait des études en France, y devient ingénieur en pétrochimie, et obtient un poste dans les Emirats du Golfe Persique. Durant son séjour, il est fasciné par la puissance de ces infrastructures, puissance dont il croit, un instant, être une composante : « Il n’était plus à Raqqah, il n’était plus le petit Badawi dont on pouvait se moquer. C’est juste, la puissance le fascinait. Mais déjà, lorsqu’il était enfant, elle l’avait fasciné, et intimidé aussi, surtout parce qu’elle lui paraissait inaccessible ».
Le mérite de ce livre est de poser les questions relatives au danger, toujours omniprésent, de se renier pour épouser la modernité, d’oublier et de délaisser des éléments constituants de nos identités. C’est un roman d’apprentissage, doublé de la description d’un amour impossible car trop absolu, entre Zaher et Fadia.
C’est aussi un hommage discret, mais pertinent et actuel, à la maîtrise de l’esprit critique pour un être humain digne de ce nom. Une allusion est faite dans le livre à des contacts que Zaher, alias Maïouf, a avec les Frères Musulmans : « Il avait puisé dans leurs exhortations une force nouvelle, celle des certitudes. Mais tout ne l’avait pas convaincu dans ce qu’ils affirmaient. Il avait eu l’occasion de connaître quelques juifs, et l’idée que le judaïsme était le mal lui était apparue bien étrange. Il ne les avait pas rejoints, mais avait pris chez eux un regard critique sur le monde et les mœurs qui l’entouraient ».
Peut-on mieux dire ? Roman à découvrir, en raison de sa tonalité générale, alliant sincérité, justesse, et profondeur.
Stéphane Bret
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