Bad girl, Nancy Huston
Bad girl, octobre 2014, 272 pages, 20 €
Ecrivain(s): Nancy Huston Edition: Actes Sud
Roman des origines, origine des romans… Bad girl s’avère un livre-clef dans la littérature prolifique et exigeante de Nancy Huston. On y pénètre dans les coulisses de son imaginaire, qu’on savait depuis toujours travaillé par les questions d’identité, de filiation, et de maternité. Entre création et procréation, quoi de plus audacieux que cette « autobiographie intra-utérine » qui donne la parole à Dorrit, le fœtus qu’elle fut et qui faillit ne pas naître, n’eût-été son obstination à s’accrocher et à faire avorter l’avortement qu’on avait planifié pour lui ?
Je est une autre : cette autre à laquelle l’auteur s’adresse à la deuxième personne du singulier. Je, donc, est tu, et c’est elle qu’on voit renaître d’entre les siens, dans la tragédie pas ordinaire d’une famille de l’ouest canadien tiraillée entre morale protestante, déchirements amoureux, et ambitions empêchées. La culpabilité, viscérale chez elle, vient de loin et a de qui tenir.
Être ou ne pas naître, donc : la question traverse aussi les nombreuses lectures qui jalonnent le livre comme autant de liaisons ombilicales, Samuel Beckett, Roland Barthes, Anaïs Nin, Romain Gary…, et ce sont de longues citations parfois où l’être naît aussi du truchement de l’autre. C’est en trouvant grâce à eux sa propre musique, sa propre langue que Nancy Huston, elle-même musicienne et ballottée entre l’anglais, l’allemand et le français, advient à elle-même, non sans surjouer parfois d’amusants lacanismes qui la travaillent au corps.
Rien d’étonnant alors à ce qu’affleure une écriture particulièrement sensible aux déracinements, aux anéantissements, qu’ils soient juifs ou palestiniens, et aux révoltes, féministes notamment. Le poète Mahmoud Darwich, Juliano Merr Khamis assassiné devant son théâtre de Jenine, tous disent à leur façon cet incroyable défi d’exister et de faire exister envers et contre tout.
Frédéric Aribit
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