Bacchantes, Céline Minard (par Léon-Marc Levy)

« Il y a des flaques sombres et du verre partout, en nappes, en cristaux, en morceaux. Des culs de bouteilles, des goulots, des corps brisés jonchent le sol. L’image fouille le champ de cadavres, zoome sur les restes d’étiquettes encore collées au verre, trempés, la matière solide explosée, la matière liquide répandue, piétinée, les bouchons pris dans leurs bagues, arrachés, aussi grotesques que des têtes décollées. Un rat circule parmi les débris. Coetzer frissonne. Il a lu “Chamboulé Chardonnay”, “Colombis Châteauneuf-du-Pape”, “Les Pentes”, il est retombé sur sa chaise, ses mains tremblent sur ses cuisses ».

C’est un ravissement de chaque instant, de chaque page, de chaque ligne de suivre Céline Minard dans son conte où les femmes prennent le pouvoir sur les hommes. Elles s’amusent beaucoup nos trois amazones – Drogan et la Brune et la Bombe – à rendre fous ceux du dehors. Elles inventent tous les raffinements pour déprimer Coetzer, pour renvoyer les policiers à leur impuissance.

Ode aux femmes, ode aux grands vins aussi, ces œuvres d’art issues du génie de la terre, de la pluie, du soleil et du génie des hommes. Chaque bouteille est poème, appel des sens, morceau de rêve.

« Chacune est un condensé, une métonymie organique, la rencontre d’un savoir-faire avec un sol et une année hasardeuse et unique. Elles sont toutes chargées de mémoire, pleines d’avenir, dans chacune une vie fermente ».

Céline Minard revisite les codes du roman de braquage avec une jubilation qui nous emporte. L’outil de ce miracle, on le connaît : Minard est une styliste éblouissante. Elle réussit le rêve des écrivains, allier une simplicité et un dépouillement bibliques à un flux d’énergie permanent, un rythme à couper le souffle. C’est là la clé de cette impression de puissance, de certitude qui émane de cette lecture. Minard croit en son écriture, elle lui fait confiance comme elle fait confiance au lecteur. Que chacun en fasse son miel !

Et puis la météo annonce une tornade sur Hong-Kong, ombres menaçantes qui font décor parfait à la tornade des trois diablesses. Dans quelques heures… Bientôt…

Quand une grande auteure se saisit d’un genre, elle le renouvelle, le régénère, lui redonne la puissance des origines. Céline Minard est une grande.

Léon-Marc Levy

VL4

NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

Notre cotation :

VL1 : faible Valeur Littéraire

VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)