Azarphaël, Roi du monde, suivi de Jean Montségur (Novellas), Christophe Lartas
Azarphaël, Roi du monde, suivi de Jean Montségur (Novellas), Ed. de l’Abat-Jour, juin 2017, 243 pages, 16 €
Ecrivain(s): Christophe Lartas
Novella : roman court, où tous les événements sont reliés à un seul événement principal, laissant des périodes de repos au lecteur et dont la chute est normalement lente.
Cette définition convient parfaitement aux deux novellas réunies dans ce volume des Editions de l’Abat-Jour : Arzaphaël, roi du monde, et Jean Montségur.
Les deux fictions sont de nature très différente, bien qu’appartenant au même genre littéraire du roman d’anticipation.
Azarphaël, roi du monde, écrit à la première personne, place le narrateur en situation à la fois de témoin et d’acteur d’un monde en totale déréliction, proche de son implosion cataclysmique terminale, caractérisé par l’instauration d’un régime mondial ultralibéral, d’un « tissu économique et social reposant en premier lieu sur les biens patrimoniaux » et « la prééminence de l’argent et de l’appât du gain », et ayant pour conséquence le retour de « privilèges héréditaires comme aux plus beaux jours des régimes aristocratiques ou féodaux ».
La description des troubles, révoltes, jacqueries en tous genres engendrés par l’extrême exacerbation des injustices économico-sociales, est celle d’une gigantesque boucherie, d’un chaos semblant irréversiblement devoir aboutir à la fin du monde, d’un écroulement total, en château de cartes, d’un ordre mondial régi jusque-là par une caste extra-minoritaire qui se croyait héréditairement intouchable pour les siècles des siècles et qui n’a pas su, pu, voulu renoncer à thésauriser de façon exponentielle avant que se produise ce qui paraît advenir comme une inévitable apocalypse.
L’auteur excelle dans les listes, les accumulations, les arsenaux, les énumérations à la façon de catalogues, dans lesquelles il s’amuse à insérer des incongruités…
Attention, âmes sensibles s’abstenir :
Ç’avait été premièrement une succession de psychoses collectives où des populations entières, tombant brusquement sous le joug d’une furie aveugle, s’entretuaient en tâchant de s’égorger jusqu’à la vertèbre ou de se fendre le crâne à coups de marteaux arrache-clous, de piolet, de barre à mine ou de batte de base-ball, se crevaient les yeux avec leurs ongles, leurs doigts, leurs jeux de clefs, leurs tournevis ou leurs clefs USB ; s’arrachaient la langue, les oreilles, la verge ou le clitoris avec leurs dents, des tenailles ou des pinces universelles…
Au moment où l’effondrement général est imminent, survient le Sauveur. L’auteur reprend le mythe messianique, sous une forme originale puisque l’Envoyé, Azarphaël, représentant d’une lointaine civilisation extra-galactique, est une araignée géante protéiforme aux couleurs et aux attributs différents à chacune de ses apparitions.
Sous la direction d’Azarphaël, un monde idéal se constitue rapidement sur les décombres de l’ancien, et commence une ère édénique, jusqu’au jour où l’Ange avoue qu’il ne peut répondre à la question de la nature de l’âme et de son devenir post-mortem. La nouvelle humanité supportera-t-elle le terrible choc de cette angoissante révélation métaphysique ?
L’auteur manie la langue avec une remarquable dextérité, une jouissance communicative, une connaissance encyclopédique des mots les plus rares, et manifeste une propension folle à l’exhaustivité lorsqu’il s’agit de collecter les toponymes, de compiler les personnages historiques, de répertorier les mythes et leurs acteurs… au point de provoquer le tournis.
Un véritable tour de force littéraire…
Lartas mentionne à la fin de cette étonnante novella que l’écriture lui en a pris quatre années. On le comprend aisément tant les références sont innombrables.
Jean Montségur, titre éponyme du personnage principal de ce deuxième texte, raconte l’ascension fulgurante d’un jeune politicien séducteur et intrigant qui use sans scrupules et avec une intelligence machiavélique de toutes les ressources et toutes les ficelles médiatico-politiques, de toutes les formes possibles de la démagogie, de toutes les annonces et promesses de nature à aveugler les masses pour parvenir à la fonction suprême de président de la république française.
Anticipation ? Prémonition ?
Quoi qu’il en soit, le jeune président nourrit, derrière son masque de charme, un dessein secret : celui de redonner à la France la première place dans le monde. Pour ce faire, il dispose d’un adjuvant puissant : un certain bouton qu’il lui suffirait d’actionner pour déclencher un maelstrom nucléaire…
Son machiavélisme lui permettra-t-il d’aller au bout de son « idéal » délétère ?
Le récit, ici, est fait à la troisième personne par un narrateur qui semble avoir fait le constat d’un dysfonctionnement croissant des grandes démocraties dans lesquelles s’ancre le culte de la personnalité, de l’icône, du réformateur soi-disant porteur de renouveau mais jouant sur la nostalgie d’un passé idéalisé.
Alors il connut avec un redoublement de conscience qu’il était arrivé au bout du chemin, que la victoire lui était définitivement acquise : le processus apocalyptique qu’il avait enclenché […] s’achevait donc sur une apothéose pour le moins imprévue…
Vision inquiète et inquiétante de ce qui pourrait se produire à court terme ?
Alors que l’intrigue de la première novella se déroule sur un rythme lent, ponctué de pauses énumératives et de diversions historiques, scientifiques, ésotériques, celle de Jean Montségur entraîne le lecteur dans une succession rapide d’événements d’importance mondiale croissante déclenchés par le Président : suspense et tension garantis !
Christophe Lartas est un écrivain gourmand de vocabulaire. Le lecteur ressent la délectation continue que cet auteur éprouve dans l’écriture et le maniement, voire la manipulation, des mots.
Par-delà cet amour exacerbé de la langue et de ses richesses, le romancier exprime une opinion extrêmement pessimiste de l’état et de l’évolution de nos sociétés, et une vision cataclysmique de leur futur proche.
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