Avènement d’un rivage, Jacques Guigou
Avènement d’un rivage, mars 2018, 66 pages, 10 €
Ecrivain(s): Jacques Guigou Edition: L'Harmattan
« Déplacé par les courants du Rhône
le rivage revient
chargées ou lestes
les saisons de son passé
signent ses lignes à venir
altérés insatisfaits
les sables de Petite Camargue
n’en finissent jamais
de faire des avances à la mer » (p.11)
Les côtes de Petite Camargue sont, depuis des décennies, le terrain de jeu et le royaume d’âme de Jacques Guigou. Aucun poète ne songerait à les arpenter aussi fiévreusement et obstinément que lui. Ce sont, loin devant les taureaux et chevaux du cru, de minces côtes sablonneuses où rien ne sait empêcher la mer de venir manger les dunes plus vite qu’elle ne les stocke. Dunes qui s’y disputent les rares bonnes places, entre les embruns qui frontalement corrodent tout, et les étangs, très vite derrière, qui les engloutiraient.
« De tout temps
ces mouvements hérétiques
du littoral
comblé à l’Espiguette
creusé à la Passe des Abîmes » (p.45)
Il faut prendre le titre du recueil avec toute sa malicieuse religiosité : avènement, c’est vraiment incarnation-surprise, arrivée réussie, et comme débarquement d’un… bord de mer ! Toute une côte surgit ici, dans son compromis mouvant, rive globale à la fois menacée et veillée par la mer qu’elle borde.
« vient l’instant où
comme dans son jeu
l’enfant dit à la mer
vue, je t’ai vue avancer » (p.43)
Avec ce poète qui entend littéralement se faire et se défaire tous les milieux de ce lido – la nature n’y semble être qu’un unique tapis roulant où ce qui commence patelles, algues et boules de mazout se continue euphorbes, oyats et lézards et finit prés de trèfles, talus de guimauves et rangs de tamaris – rester au bord de mer c’est justement monter à bord de l’incessant changement des êtres et des contextes. On voyage dans l’infinie divisibilité de ses semelles.
« passé le mas Quarante sols
l’âpre sentier sur la saline
nous conduit
vers un autre commencement » (p.14)
Une escouade d’étangs littoraux, à l’eau plus froide que celle de la mer en hiver, plus chaude qu’elle au printemps, est comme un chapelet mutique tombé directement des mains de Dieu. Hérons cendrés et renards jouent les leaders par défaut de l’immense brousse rase et verruqueuse des sansouires. On est ici eux.
« là
silence des saladelles
et là
vivats des échasses blanches » (p.46)
Si le langage général permet, bien sûr, au naturaliste de décrire la nature (d’en détailler les âges et les plans), le langage poétique permet en quelque sorte à la nature d’être pour nous sa propre guide, de nous mettre comme aux commandes de ses avances, péripéties et contournements. Jacques Guigou, pur pèlerin de la Substance, commandeur âpre et doux des incroyants, est le maître de la nostalgie impersonnelle.
« là
ce rivage soliste
qui renie son origine
là
cette lumière vibrée
où tout est donné » (p.26)
Marc Wetzel
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