Avant que le monde ne se ferme, Alain Mascaro (par Guy Donikian)
Avant que le monde ne se ferme, Alain Mascaro, août 2021, 245 pages, 17,90 €
Edition: Autrement
Tout aura commencé dans la steppe kirghize, au sein de la « kumpania » dans laquelle Anton Torvath va croître. Né au début du « siècle des génocides », Anton va acquérir ses armes de circassien dans un cirque composé de jongleurs, de trapézistes, de dompteurs. Il sera lui-même dompteur de chevaux. Anton Torvath est tzigane, et ce « fils du vent » va devoir voyager pour rencontrer le pire dans une Europe « où le bruit des bottes écrase tout ».
« Les années s’égrenaient doucement au rythme des spectacles : monter, démonter la toile, atteler les chevaux, tracer la route… Des enfants naissaient ; d’autres étaient en âge d’intégrer la parade ou de présenter un numéro. Ils s’essayaient à tout, même à ce qu’ils n’aimaient pas a priori, c’était la règle du cirque Torvath. C’était ainsi que naissaient les vocations, ainsi qu’arrivaient les accidents ». Anton va aimer les chevaux et les chevaux vont l’aimer, depuis l’enfance, après qu’un accident l’aura fortuitement dirigé vers les équidés qui ne cesseront d’importer dans son périple.
Ce sont aussi et surtout des valeurs qu’il acquerra durant son apprentissage auprès de Jag, l’homme au violon, ou auprès de Simon, le médecin philosophe, des valeurs qui feront de lui un tzigane pour qui la propriété matérielle n’a pas ou peu de valeur contrairement à l’essence de chacun où se développent des qualités qui donnent la capacité à jouir des éléments essentiels. Et c’est Jag, toujours, qui va lui enseigner les moyens de vivre la vie comme un cadeau qu’il faut savoir apprécier :
« Être ici, présents au monde, c’est notre seul bien, disait Jag. Hier n’existe plus ; demain est encore improbable, mais cette seconde qui passe, ce moment, cette présence, toi et moi ici, assis sur cette pierre à regarder le désert, et tes pupilles ouvertes comme des oisillons affamés, et ma vieille main ridée posée sur mon genou, et cette femme en sari bleu sur ce balcon là-bas, regarde ! Et le rire de Katia derrière nous, et cette pierre rugueuse sous nos doigts : voilà la seule vérité. Ces instants qui passent et glissent sont nos seuls trésors, Anton, nos seuls trésors ». Il y a dans l’écriture de l’auteur une proximité, voire une identification à ces propos dont la douceur, la poésie qui n’échappent pas au lecteur. Alain Mascaro distille cet amour du peuple tzigane tout au long de son texte, mettant en valeur tout en le légitimant un mode de vie fondé sur l’errance qui nécessite un détachement pour tout ce qui ne concerne pas la conscience de la présence au monde.
Des steppes kirghizes, Anton va se retrouver piégé en Pologne tout d’abord, dans le ghetto de Lodz, où il découvrira un ghetto dans le ghetto, un ghetto tzigane dans le ghetto juif. Il va perdre tous les siens, retenant le nom de chacun pour une sépulture digne quand il sortira de l’enfer. Mais les circonstances ne lui sont pas favorables, il sera transféré à Auschwitz, dont il ne sera extrait par les nazis que pour la marche de la mort. Il doit la vie sauve à des rencontres qui vont physiquement l’aider, mais c’est surtout la litanie de ses morts qui va le maintenir en vie.
Anton va enfin retrouver Jag, à qui il confie sa volonté de remonter le cirque comme il était, afin de reprendre une vie rythmée humainement « en prenant notre temps ». Mais pour Jag, la vie ne lui accorde plus le temps de participer à cette reconstruction : « Hier c’était l’enfance, murmura-t-il, et voilà que je m’en vais ! ».
Guy Donikian
Alain Mascaro est né en 1964. Avant que le monde ne se ferme est son premier roman. Il décide en 2019 de quitter l’enseignement des lettres pour un long voyage qui lui a permis l’écriture de ce livre.
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