Autopsie sentimentale, Véronique Brésil
Autopsie sentimentale, septembre 2014, 178 pages, 12 €
Ecrivain(s): Véronique Brésil Edition: Ipagination
Existe-t-il, l’amour heureux ? Aragon répond :
Il n’y a pas d’amour qui ne soit à douleur
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit meurtri
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit flétri
Ce premier roman de Véronique Brésil, qui a débuté sa carrière littéraire en publiant des nouvelles chez iPagination, en est une dramatique illustration. Les noces semblent toujours être le début d’une vie conjugale faite d’entente et de bonheur, la source d’un « long fleuve tranquille ». C’est sous ce bel augure, par la cérémonie de mariage de l’héroïne, que commence la première partie du livre.
Ce jour-là, nous avions convié le bonheur à notre table. Et le bonheur avait répondu présent.
Mais l’invité ne partagera pas longtemps la vie du ménage. La narratrice, infirmière, décrit avec précision le processus de décomposition affective qui se met en branle fort peu de temps après qu’elle est devenue, pour l’état-civil, Madame Didier Rosetto. Alors que Didier Rosetto s’est mis en tête de faire, de façon systématique, quotidienne, à l’emporte-pièce, de gré ou de force, l’éducation sexuelle de sa femme, l’amour n’est pas vraiment au rendez-vous.
Quelques années passent. Les relations conjugales se délitent. Afin d’éviter le plus possible les contacts avec son mari, Madame Rosetto se porte volontaire pour assurer les gardes de nuit. Sur les conseils de sa collègue Tatiana, elle s’initie à la fréquentation des sites de rencontres en ligne, sous le pseudonyme de Ciboulette.
Au bout de quelques semaines et contre toute attente, l’écran est venu à bout de ma réserve et de ma pudeur. J’en aurais presque oublié mon statut de femme mariée…
C’est par ce canal qu’elle rencontre Virgile, celui qui va devenir très rapidement, quasiment immédiatement, l’homme de sa vie. Alors l’héroïne s’écrit un autre roman, se raconte son autre vie, une vie double, car, en parallèle, la cohabitation maritale se poursuit, sur le principe confortable de la chambre à part et des horaires décalés.
Roman d’apprentissage, sur plusieurs niveaux. Après l’éducation sexuelle, puis l’initiation, avec Tatiana, aux codes spécifiques des échanges sur sites de rencontres coquines, vient l’apprentissage de la dissimulation, du mensonge, de l’organisation d’un agenda double. Car, même si le ménage est devenu inconsistant, n’est plus que de pure forme, il importe pour la jeune femme de sauver les apparences vis-à-vis de celui qui reste, pour le monde, l’époux.
Roman d’apprentissage, aussi, sur la nature humaine, et, en définitive, sur l’illusion amoureuse. Car, si Ciboulette se donne totalement à l’amant, celui-ci prend, exige, accapare, soutire, se fait entretenir, exploite toutes les ressources de son amoureuse, autant et aussi longtemps que possible, et rompt brutalement, par une déclaration téléphonée, simple, totalement inattendue, acérée, incisive et sans réplique possible : « Je n’ai plus de temps à te consacrer ».
La leçon, reçue a posteriori comme un coup de massue, est limpide : Virgile vit aux crochets de l’amante du moment, qu’il remplace, dès lors qu’il considère qu’il n’a plus rien à tirer d’elle, par une nouvelle conquête.
Roman d’apprentissage, encore, puisque durant tout le temps de sa relation passionnelle avec Virgile, qui se flatte d’être un écrivain en devenir, Ciboulette est amenée à corriger, à amender les écrits de son amant, et, se prenant au jeu, finit par les réécrire, puis par écrire ses propres textes. Le récit de ses essais, de ses progrès, est, pour Véronique Brésil, prétexte à interrogations et réflexions sur l’acte littéraire, et à insertion sous-jacente de la fonction métalinguistique, voire méta-narrative, dans le récit, et de la fonction psychanalytique de l’écriture.
Ecrire, c’est forcer une brèche, souffrir l’évacuation des humeurs et reconfigurer la carcasse […] Mes rivières d’amours inutiles ont fini par trouver une issue dans des mots qui se sont épanchés sur des feuilles […], inondant tout au passage…
Ciboulette décide, après la rupture, d’écrire et de publier le récit des souffrances que lui ont infligées les hommes qu’elle a connus. C’est l’occasion, pour l’auteure, d’anticiper le destin de son propre roman, puisque Ciboulette, éditée, relate les réactions de ses lectrices.
La majorité des femmes captives de leur bourreau ont redoublé de pleurs […]. Mon roman, qui avait la couleur d’un témoignage poignant et ô combien proche de leur intimité, est devenu le porte-parole de la douleur, de la honte et de l’humiliation qu’elles avaient jusque là endurées et occultées…
Le style est agréable, la langue est soutenue, sans que les termes crus en soient exclus. Véronique Brésil n’a pas peur des détails, ni des mots qui peuvent les représenter. Le lecteur devrait aimer ses audaces littéraires.
Ah ! Ses appendices masculins ! De superbes bijoux qui, sous mes doigts attendris et désirant, allaient se parer d’une dimension inestimable. Ses joyaux étincelaient pour moi, princesse fragile…
Un roman édifiant et réaliste sur la relation entre l’homme et la femme au XXIe siècle en France.
Patryck Froissart
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