Auteurs vivants, Emmanuel Darley
Auteurs vivants, 54 pages, 11 €
Ecrivain(s): Emmanuel Darley Edition: Actes Sud/Papiers
En octobre 1663, Molière joue devant le roi L’impromptu de Versailles, comédie en prose et en un acte dans laquelle il met en abyme le travail d’une répétition avec sa troupe. Il règle ses comptes avec la troupe de l’hôtel de Bourgogne et avec les détracteurs de sa pièce, L’école des femmes. Emmanuel Darley participe lui, en 2006, au projet d’une trilogie du Théâtre au présent, aux côtés de Yves Gourmelon et Lydie Parisse, intitulée La répétition publique. Le texte d’Emmanuel Darley correspond au deuxième opus de l’ensemble Théâtre contemporain qui édité deviendra Auteurs vivants. Son entreprise n’est pas sans rappeler celle de Molière puisqu’il s’agit là aussi d’une répétition comme l’indique la didascalie initiale : « Deux sur la scène en costume de ville. Texte en main. Ils vont et viennent ».
Cette répétition d’ailleurs constituera l’unité du propos. Les personnages appartiennent évidemment au monde du plateau : les comédiens André, Maurice, Madeleine (avatar contemporain de la mademoiselle Béjart de Molière), le metteur en scène, Marc-Antoine, lui aussi sans doute souvenir de l’Antony de Shakespeare et enfin l’auteur contemporain qui « terrorise » la petite troupe répétant Le Cid de Corneille, le bien nommé Cagoule. Les spectateurs (les vrais dans la salle) quant à eux jouent le rôle que Darley leur assigne.
La satire peut commencer contre Marc-Antoine en potentat outrancier, s’adressant aux comédiens, travaillant l’acte I scène 1 du Cid, en les traitant « d’enfants » (p.35-6), les manipulant comme des marionnettes. Il donne des ordres. Mais plus grave encore, et pitoyable même, sur le mode burlesque, Emmanuel Darley lui fait tenir des propos ridicules du metteur en scène qui monte une œuvre classique mais l’adapte pour soi-disant satisfaire le public. Ainsi au lieu de dire Castille, demande-t-il à André de dire Castries, nom d’un village proche de Montpellier ! Ne va-t-il pas jusqu’à dire « c’est le texte. C’est ça le problème » (p.37). Cette sorte de mascarade est subitement interrompue par l’intrusion de Cagoule, masqué, tenant un texte entre les mains, représentant régional des EAT, à savoir les Ecrivains Associés au Théâtre, association née en 2000, qui défend et promeut réellement les écritures dramatiques contemporaines. Cagoule prend en otage les gens en répétition, exigeant d’eux qu’ils lisent les textes des auteurs vivants.
Vivants oui nous sommes auteurs contemporains d’aujourd’hui bien vivants et nous sommes l’avenir du théâtre de ce pays ! Nous parlons d’aujourd’hui avec des mots d’aujourd’hui ! (p.38).
Plaidoyer pro-domo sous la plume d’Emmanuel Darley. Lutte entre Corneille dans sa version adaptée de Marc-Antoine Schmitt (allusion à peine voilée à Éric-Emmanuel Schmitt, spécialiste d’adaptations de textes) et E. Darley en personne, auteur en 2002 de Pas Bouger. Comme chez Molière, sur le mode comique, E. Darley se réfère à son œuvre, en mettant en scène les critiques caricaturales adressées à cette forme de théâtre contemporain comme le montrent certaines répliques des deux comédiens « classiques » :
ANDRE On ne comprend jamais rien à ce que vous faites.
MAURICE C’est sans queue ni tête et c’est écrit avec les pieds !
A ces accusations, Cagoule répond en forme de manifeste :
Il est temps d’ouvrir les théâtres et d’offrir aux spectateurs autre chose que vos vieux textes poussiéreux, vos auteurs oubliés, vus et revus, archi entendus.
Les otages de Cagoule doivent lire à contrecœur le début de Pas bouger, prononcer les répliques de A, l’homme qui marche, et B celui qui reste figé. Comment des « sociétaires » pourraient-ils s’abaisser à jouer de pareilles inepties ? Pourtant devant Cagoule sorti un temps, ils font l’éloge de son texte. Et ils invitent même Madeleine, grande comédienne, à prendre part à cette nouvelle répétition. Marc-Antoine lui aussi se prête au jeu mais toujours sur le mode de l’adaptation plus ou moins inepte. Les personnages de Pas bouger deviennent des randonneurs…
Coup de théâtre. Un second cagoulé débarque et invective le premier, le considérant comme un traître à la cause du théâtre contemporain. Ils en viennent aux mains et finalement la répétition du Cid va pouvoir reprendre, Madeleine en Chimène. La querelle des Anciens et des modernes a donné paradoxalement la victoire aux Anciens. Belle expérience de l’autodérision.
Marie Du Crest
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