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Au pipirite chantant, Jean Métellus (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 30.08.23 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Poésie, Editions Maurice Nadeau

Au pipirite chantant, Jean Métellus, Collection Poche Maurice Nadeau, septembre 2022, 190 pages, 9,90 €

Edition: Editions Maurice Nadeau

Au pipirite chantant, Jean Métellus (par Patryck Froissart)

 

Publiée initialement en 1978 par Maurice Nadeau, cette œuvre essentielle du poète haïtien Jean Métellus vient d’être rééditée, avec une introduction de Claude Mouchard, dans l’élégante et toute nouvelle Collection de Poche que Gilles Nadeau et Laure de Lestrange ont récemment créée. Faite de textes de longueur très inégale, dont un poème d’un seul tenant sur pas moins de cinquante-cinq pages, l’œuvre chante récurremment, de manière obsédante, tout au long de diverses autres thématiques, l’éloge du « mot », du terme, du vocable, du lexème, à quoi le poète voue un culte incessamment réaffirmé. En écho à la voix primordiale du pipirite, cet oiseau de bon augure qui, premier à lancer son chant au bout de la nuit, annonce l’advenue de la lumière, l’auteur pare le mot, cet « attribut » originel qui fait foncièrement de l’homme un être humain, de toutes les qualités, de tous les statuts, de toutes les potentialités, et le voit à la source de toutes les fonctions existentielles, l’usage pouvant en être fait pour le meilleur comme pour le pire. Projeté à la face et à l’intérieur du monde par le poète, le mot, personnifié, incarné, devenu être vivant, ayant acquis sa propre autonomie, est, métonymiquement, ici, un actant social.

Et par la bouche des loas les mots s’exhortaient au discours, à la domination, à la guérison, à la révolution.

Coiffés de coloris, flanqués de lianes, nus, enfin vivants, ils exhibaient les secrets des hommes, ils exhumaient les alluvions tumultueuses de la mémoire.

Pouvoir qui trouve ses limites, concède cependant humblement le poète, dans toute tentative de traduire la perfection de la nature, et particulièrement cette nature insulaire, du moins ce qu’il en reste, au sein de quoi l’auteur est né et s’est réalisé.

Les mots de jonc, de jaspe et de jasmin jamais ne pourront reproduire l’arbuste et ses fleurs, leurs tons et leurs couleurs.

Mais expressément pouvoir de lutte, de combat, de militantisme, de révolte, de rébellion. Car Métellus, poète de la négritude, met farouchement, âprement, acerbement le mot, la langue, la poésie en somme, au service de la cause qu’il défend de toute la puissance de sa voix : le recouvrement de la dignité, passant par la reconnaissance de l’identité culturelle, de l’africanité originelle, de l’homme et de la femme haïtiens.

Ainsi s’insurge-t-il contre la religion imposée par les armes à ses ancêtres africains, dépossédés violemment de leurs dieux (qu’il exhorte, par invocations régulières, à se réapproprier leur statut originel) avant, pendant et après les rafles et déportations esclavagistes de masse : « Les églises passeront mais le Vaudou ne passera pas ».

[…]

Les alliances d’âmes armées ont horrifié tes dieux

Et les gencives de Rome jouissaient

De ces orages odieux

Qui éclataient tes mânes et qui les enfouissaient

Rome l’infidèle, Rome charnière des charniers

Dans le sillon des lataniers avait pris des couleurs de cachiman

Dans des sermons déboutonnés

C’est au nom de la tiare, s’écrie un curé de la cathédrale

Ainsi se remémore-t-il, plaie béante en son âme, en sa chair, l’impardonnable blessure de l’arrachement, du déracinement :

Te rappelles-tu le long voyage de tes enfants ?

[…]

Ils étaient côtes contre côtes bien arrimés

Et ils se regardaient

Et ils mandaient la vie et la mort

Dans la même langue sans se comprendre

Et ils vivaient l’enfer, l’enfer.

Ainsi dénonce-t-il, évocation qui lui déchire les entrailles, la criminelle entreprise d’expansion coloniale, hégémonique de l’occident européen :

Et les souvenirs torturaient leur raison et la raison de vivre

et la raison déraisonnable

et la science de Colomb le grand navigateur

oh ! Capitaine ! Directeur de massacres humains

Assassin de mes pulsations

Cauchemar de mes paupières de nègre

Termite de mes racines humaines

Nous voyagions par milliers, le dos courbé, la corde au cou, les chaînes au pied, les yeux calés au fond d’un bateau

Entre les multiples évocations, douloureuses, d’un passé marqué par la servilité contrainte, les humiliations, l’acculturation, les sévices, le génocide, l’auteur revient cependant sans cesse au présent d’un peuple, d’un pays auquel il est viscéralement, passionnément attaché, encore et toujours empreint de misère, de souffrance, de violence, de lutte pour la vie. Les anciens maîtres ont été remplacés, l’esclavage institué n’est plus, mais, dans la cadre d’une illusoire indépendance, d’une fausse démocratie,

(Nous désignons nos hommes d’Etat, nos gouvernants

Et nous voilà meurtris, dévorés par nos choix),

le sort du paysan, le quotidien de la femme, la vie précaire de l’enfant, et globalement l’existence tourmentée des Haïtiens sont soumis, tout aussi cruellement, à la rapacité et à la soif de domination et d’exploitation d’une caste locale elle-même au service d’un oppresseur supranational que le poète engagé nomme sans équivoque « le capital » et contre quoi il clame la révolte, par la voix, entre autres, de l’arbre à pain :

 

Ma peau, ma chair, lumière

Ma grandeur et ma houppe

Tige agreste de l’été, cime frondescente et touffue

Les voilà prêtes à la révolution

Je dis oui au souffle des Caraïbes

Je trafiquerai de la violence

[…]

Je protégerai les outrés et les insoumis, les indignés et les émeutiers

Mes fruits par grappes se livreront

La glèbe entière fourmillera de graines et de drupes

Je serai le bras des mutins, le glaive des indigents

Et sur tout homme et sur toute vie je répondrai l’arôme salace des grandes insurrections

 

De ces cent-quatre-vingts pages d’un foisonnement poétique aux multiples tonalités de plaintes, d’accusations, de colères, de souffrances, d’amour, d’hommages, d’éloges, de souvenirs personnels, de rappels historiques, d’aspirations à la reconnaissance, voire à la renaissance, des racines, traditions, cultures et cultes ancestraux, émane un thème obsédant : l’amour de la patrie haïtienne.

« Émigré haïtien, je n’ai jamais quitté Haïti et Haïti ne m’a jamais quitté », affirme lui-même Jean Métellus dans son premier essai en 1987, Haïti, une nation pathétique.

 

Patryck Froissart

 

Jean Métellus est né le 30 avril 1937 à Jacmel (Haïti). Il est décédé le 4 janvier 2014 à Paris. Après des études secondaires au Lycée Pinchinat de Jacmel, il est professeur de mathématiques de 1957 à 1959. Entamant des études de médecine à la Faculté de Médecine de Paris, il devient Docteur en Médecine en 1970. Sa passion de la langue le conduit vers un Doctorat en linguistique en 1975. Neurologue dans un hôpital parisien, il mène de front son activité professionnelle principale et une activité littéraire importante. Membre de nombreuses sociétés littéraires, GEL (Groupe d’Etudes du Langage), Université Paris-XII, GRAAL (Groupe de Recherches sur les Apprentissages et les Altérations du Langage), Société Moreau de Tours, il participe au jury de nombreux Prix et reçoit lui-même de nombreuses distinctions : Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres en 1986, Prix André Barré de l’Académie Française en 1982, Prix de la Fondation Roland de Jouvenel de l’Académie Française en 1984, Prix du concours poétique du Jasmin d’Argent (Société Littéraire de l’Agenais) en 1986, Prix Littéraire de l’APLER (Association du Prix Littéraire Emile Roux) en 1991. Il est l’auteur de poèmes, de romans, de pièces de théâtre et d’essais.

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A propos du rédacteur

Patryck Froissart

 

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.

Membre des jurys des concours nationaux de la SPAF

Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)

Membre de la SGDL

Il a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles, dont certains ont été primés, un roman et une réédition commentée des fables de La Fontaine, tous désormais indisponibles suite à la faillite de sa maison d’édition. Seuls les ouvrages suivants, publiés par d’autres éditeurs, restent accessibles :

-Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)

-Li Ann ou Le tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)

-L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)