Au commencement étaient les Berbères ! (par Amin Zaoui)
Au commencement étaient les Berbères. Il y avait une terre et les enfants de cette terre. Une langue, des mythes, des femmes, un Dieu et des oliviers. Et le rêve habitait le cœur des chansons.
Et par un matin, des envahisseurs cagoulés se sont pointés à l’horizon. Violeurs des rêves. Ils parlaient une autre langue et dans leur bagage un autre Dieu bien emballé. La guerre ne compte pas ses morts. Celui qui est vivant est celui qui ne perd pas sa langue. Convertis à la foi chrétienne, de gré ou de force, les enfants du commencement n’ont pas perdu leur langue ni leurs mythes. La Ghriba synagogue de l’île de Djerba, Tunisie, témoigne d’une autre foi. Un témoin qui dit la pluralité du Ciel.
Les premiers envahisseurs se sont retirés, d’autres leur ont succédé. Et les enfants du commencement n’ont pas perdu la mémoire ni l’amour de l’olivier. Chaque envahisseur se voit le maître du lieu et le sauveur du peuple vis-à-vis du Dieu et de l’Histoire !
Les Phéniciens. Les Romains. Les Vandales. Les Byzantins…
Et par un autre lever du jour, d’autres sont arrivés, cette fois-ci ils sont arrivés du pays du Levant. Comme les autres, ils étaient porteurs d’un Livre, une langue, une religion et des sabres. Mais les enfants du commencement ne se sont pas pliés. Une guerre a parlé pendant soixante-huit ans. Convertis à la nouvelle foi, de gré ou de force, les enfants du commencement n’ont pas perdu leur langue ni leurs mythes. Même convertis, les enfants du commencement étaient aux yeux des vainqueurs comme des infidèles.
El foutouhat el islamiya (les conquêtes islamiques) sont passées par-là, mais les enfants du commencement sont restés dans l’oubli et dans l’amertume.
Depuis la mer, par un autre jour, les Ottomans ont débarqué, au nom de la religion, à l’appel de leur frère musulman pour faire face aux chrétiens, dans la terre de Juba. Sous l’appel du muezzin à la prière d’Allah, les Ottomans ont mis aux enchères les femmes et les enfants Kahena Tadlut (la belle gazelle). Cervantès capturé, conduit au bagne d’Alger (1575-1580).
Les deys ne cessent d’expédier des esclaves en femmes et en enfants au calife de la haute porte El Bab el Âli !
Et le gouverneur de Beylek réclame 10% d’esclaves comme impôts en femmes et en enfants de Tamazgha. Mais les enfants du commencement n’ont pas changé de langue, n’ont pas oublié ni leurs mythes ni l’odeur de l’huile de la lampe kinké. Si on perd la terre sous nos pieds, on sauvegarde la langue dans notre bouche. La langue est une patrie magique inviolable. Les enfants du commencement résistent, les femmes content et chantent afin que les enfants n’oublient jamais l’heure de la genèse. Les Ottomans sont arrivés mais les enfants du commencement sont restés étrangers sur leur terre et expulsés de leur espace.
Par un jour estival de l’an 1830, Dey Hussein signe sa soumission au profit d’un autre envahisseur. Le gouverneur de Beylik, humilié, rend les clés d’Alger, charge son or et ses esclaves et prend le large sur le navire français Jeanne d’Arc vers Alexandrie en Italie. Un autre envahisseur débarqua avec des chars, des lois, des tortures et une langue. Et une autre Kahena, une autre baroudeuse appelée Fadhma n’Soumer sort ses chevaux et ses griffes.
Et par un jour automnal de l’an 1954, le baroud de la grande guerre a hurlé. Et il y a eu des martyrs, beaucoup de martyrs.
Et par un jour estival de l’an 1962, l’indépendance est proclamée, et l’envahisseur qui a remplacé l’autre envahisseur, qui a remplacé l’autre envahisseur, qui a remplacé l’autre envahisseur, qui a remplacé l’autre envahisseur a plié bagages !
Les youyous de l’indépendance ont résonné sur Djurdjura, mais les enfants du commencement n’ont rien vu venir pour eux et pour leur langue et leur saint olivier ! Mais ces enfants du commencement, arrière-fils des enfants de la genèse, n’ont pas plié leur arme.
Le nouveau propriétaire du pouvoir avec son slogan mensonger « le socialisme est la solution » a avorté leur rêve.
Et il n’y a pas de printemps sans la poésie. Et Dda Lmouloud annonce les couleurs du printemps berbère. Les enfants se réveillent !
L’islamisme débarque en Algérie avec les frères musulmans et les noces de Youssef al-Qardaoui et Mohamed Ghazali, et le rêve des Amazighs recule d’un pas. Et une autre guerre est déclenchée et avec les guerres, beaucoup de morts… et les enfants du commencement rêvent de leur terre, de leurs contes et de leur olivier et de leur langue.
« L’islam est la solution » a échoué, et le rêve des enfants du commencement est reporté.
Mais un jour, tout le monde repartira, et ne restera que les enfants du commencement, les arrière-fils de la genèse.
Au commencement étaient les Berbères. A la fin, ne seront que les Berbères dans les Algéries.
Amin Zaoui
In "Souffles" (Liberté, Alger)
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