Atlantia, Ally Condie
Atlantia, juin 2015, 330 pages, 16,50 €
Ecrivain(s): Ally Condie Edition: Gallimard Jeunesse
Depuis la Grande Division, bien après que la surface de la Terre ait été dévorée par une irrépressible vague de pollution, la population humaine se voit cantonnée à la vie sous-marine, au sein de gigantesques cités closes étagées sur différents niveaux.
Chaque famille est néanmoins contrainte d’envoyer un de ses enfants dans le monde d’En-Haut, afin d’éviter la surpopulation et de fournir une main d’œuvre jeune et efficace aux mines qui extraient les ressources énergétiques nécessaires à ceux d’En-Bas. Ce sacrifice est ritualisé depuis de nombreuses générations et personne ne met en doute son utilité en dépit des conditions de vie épouvantables qui attendent les volontaires.
« Ici, nous menons de longues et belles vies. Nous travaillons dur, mais pas autant que ceux qui sont sur la terre. Nous avons du temps libre. Nous n’avons pas à respirer un air vicié, le cancer ne ronge pas nos poumons. Ceux d’En-Haut consacrent leur vie à travailler pour nourrir ceux d’En-Bas. Leurs poumons sont attaqués et ils souffrent atrocement. Mais ils seront récompensés plus tard dans une autre vie ».
Atlantia est l’une de ces bulles océaniques, sans doute la plus vaste et la plus belle de par son architecture et la profusion de ses temples.
Rio et Bay sont jumelles. Âgées de dix-huit ans, elles mènent une vie exempte de souci, jusqu’au mystérieux décès de leur mère Océania, Ministre de la Cité, dont le corps été retrouvé sur le perron d’une paria notoire, Sea, sa propre sœur. Suite à cet événement extraordinaire, Bay prend la décision inattendue de quitter sa sœur pour aller vivre En Haut, laissant Rio désemparée et sans moyen de subsistance.
Bien décidée à découvrir pourquoi sa mère a été assassinée et à rejoindre la surface en dépit des dangers et de la surveillance des membres du Grand Conseil et de son président, le très suspect Névio, Rio mène l’enquête dans les quartiers les plus sombres de la cité sous-marine. Aidée de True, un jeune homme troublant, et de sa tante Sea, elle parviendra à faire la lumière sur quelques vérités dérangeantes : la destruction programmée d’Atlantia et de ses habitants inconscients de leur sort, la situation réelle à la surface de la terre, et surtout les meurtres systématiques des sirènes, survivantes d’une caste vénérée par la population d’En-Bas.
Allie Condie, auteur de la trilogie Promise, nous propose à nouveau une dystopie, sous forme cette fois de one-shot. Afin de se démarquer des autres parutions, nombreuses, du même genre, Atlantiapropose une innovante aventure sous-marine. C’est donc dans la représentation d’un univers aquatique qu’il faudra chercher l’intérêt du livre qui reste sinon plutôt convenu dans une intrigue mêlant polar et amours naissantes. Le lecteur découvrira avec saisissement le fonctionnement de cette ville abyssale, sa technologie, son esthétique, ses rites religieux, son système politique et économique, et surtout ses côtés obscurs, peu différents des nôtres finalement.
Mais la singularité de cet ouvrage réside essentiellement dans la réappropriation du mythe des sirènes. Aucunement présentées sous forme de créatures hybrides, elles conservent de leurs antiques aïeux la faculté d’ensorceler leur auditoire, d’influer leurs humeurs et leurs actes au moyen de leur voix. Dotées d’une étonnante faculté d’empathie, elles savent également décrypter les secrets des gestes, des regards et des sous-entendus. Le danger potentiel qu’elles représentent pour les dirigeants des cités les a rapidement poussés à les asservir pour leur propre bénéfice et à exterminer les réfractaires. Dans ce roman, Ally Condie en fait des êtres doux et amicaux, transformés en parias cruels ou en victimes expiatoires pour les besoins de la politique :
« Les premières sirènes sont nées alors que j’étais déjà bien vieille, mais j’ai vécu assez longtemps pour entendre leur voix, et j’en suis ravie. Leurs chants nous ont apaisés.
Ils nous ont rappelé le bruit que faisait un éclat de rire.
Les enfants sirènes étaient beaux et joyeux. Leurs parents les adoraient. Tout le monde les adorait. On les aimait tellement qu’ils nous ont permis de supporter enfin la perte de ceux que nous avions laissés En-Haut.
Ils nous ont dit qu’il fallait vivre, et soudain nous en étions capables. Ils ont plongé leurs yeux dans les nôtres pour nous demander d’être heureux et, tout à coup, nous avons eu envie de leur obéir ».
Atlantia s’avère donc être surtout une belle reconquête de certains territoires perdus par la faute de l’avidité de l’Homme et du progrès : celle de l’innocence et de la joie de l’enfance ; celle de la spontanéité et des premières amours.
Laetitia Steinbach
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