Identification

Artaud ou la machine de l’être à regarder de traviole (2)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) 10.06.15 dans La Une CED, Ecriture

Artaud ou la machine de l’être à regarder de traviole (2)

 

L’inspiration comme fœtus dans l’œuvre d’Antonin Artaud

La question de l’inspiration poétique et de son verbe, et de son impuissance à accoucher / engendrer une création existant à part /

entière

de façon autonome et plénière /

satisfaisante

parcourt l’aveu testamentaire écrit par Antonin Artaud concernant les poèmes avortés de Tric Trac du Ciel. Aveu de poèmes au « petit air désuet » portant en eux, non un style, mais un esprit (celui recevable dans les années 20).

Poèmes non « inspirés », donc. Et qui ne représentent Artaud « en aucune façon ».

Mais « l’inspiration », qu’est-ce ? Une chimère ? Une déesse portant sacrement sur l’autel à la Beauté Littéraire et octroyant à ses élu(e)s grandeur, aura sublime, lauriers en tous genres ? Non pas.

« CERTAINEMENT L’INSPIRATION EXISTE », affirme d’une façon péremptoire Artaud dans Le Pèse-Nerfs.

Mais si l’inspiration existe, qu’en est-il de sa substance, de sa « substantifique moelle » ?

« L’inspiration n’est qu’un fœtus et le verbe aussi n’est qu’un fœtus » écrit Artaud dans son Préambule à l’édition de ses œuvres complètes, en 1946. « Je sais que quand j’ai voulu écrire j’ai raté mes mots et c’est tout ».

Réseau connecté au Tric Trac du ciel

d’un esprit dans le bruit de sa viande torve (en grec tavaturi signifie « bruit »)

rutilante / « appétissante acide »

agitant douloureusement dans sa linéarité

la breloque à fouetter

de son innéité

Tric-Trac / bruit de choses heurtées

Tric Trac céleste sur le plateau de la vie ordinaire

voix au « heurt de sarcophage hostile »

dans les Limbes d’une âme en vie / en peine

contre son gré « baptisée à » la cruauté / à la liberté

autrement dit aliénée

dépossédée de soi

« éraclée » vive dans les sales déchets

de soi / jetés hors

« Toute l’écriture est de la cochonnerie »

« Ce que vous avez pris pour mes œuvres n’était que les déchets de moi-même, ces raclures de l’âme que l’homme normal n’accueille pas ».

dans le noir limon

des paroles /

du côté de l’agonie de l’être

L’entreprise d’écriture chez Artaud relève d’un travail, au sens étymologique rappelant le tripalium, instrument de torture

relève du labeur / accompagné d’une « violence » dans les travaux et d’une peine / souffrance dont les stigmates restent marqués / incrustés / en germination et fermentation / indélébiles.

« Mais si j’enfonce un mot violent comme un clou je veux qu’il suppure dans la phrase comme une ecchymose à cent trous ».

C’est dire que l’engagement du poète est viscéral

envoûtement ou incarnation / incantation du poète

par l’écrit //

total

physique

physiologique

organique & cérébral

mixé / malaxé / broyé

ingéré / douloureusement digéré ou dégluti / régurgité /englouti- ex-primé / ex-purgé /exorcisé

ainsi chaque mot, chaque phrase

chaque corpus

pèse de son pesant de langage

et de son limon (de paroles) « qu’on n’éclaire pas du côté de l’être mais du côté de son agonie ».

Mission impossible que s’assigne le poète ? Que s’assigne « celui qui par innéité est celui qui doit être un être, c’est-à-dire toujours fouetter cette espèce de négatif chenil, ô chiennes d’impossibilités ». « Je me suis mis souvent dans cet état d’absurde impossible, pour essayer de faire naître en moi de la pensée », écrit Artaud dans Le Pèse-Nerfs.

Comment insinuer la trame de son âme en vie dans sa chair rutilante incarnée par le feu du Langage dévorant sa pression / sa langue / sa tension / son oppression

« sous la travée de la flamme-îlot d’une lanterne d’échafaud » ?

A la lecture du Préambule de 1946, le lecteur laisse venir à lui cette pensée qu’Antonin Artaud portait en lui en son corps de viande torve, en son esprit torturé, une mémoire peut-être plus ancienne que sa propre genèse, antérieure à celle façonnée par l’expérience de sa propre existence / une mémoire génétique / ante-chronologique / sur la frise de sa vie, portant le poids de douleurs anciennes l’empêchant de se réaliser / de s’être réalisé dans le temps compté de l’existence / de pouvoir trouver une équivalence entre le monde et son être dont la perception suraiguë d’une absence d’osmose le projette sans cesse dans une surréalité / une communication retournée le menant à corps et à cri dans une tentative de réécriture comme impossible de cette osmose déchirant son intégrité organique / psychologique, disloquant son être entre une écriture vouée à l’échec, œuvre de destruction éclairant l’être du côté de sa perte.

Une écriture dans l’aride tension d’une formulation avide de la vie,

et qui avorte de l’avoir voulu exercée

happée / dévorée

par « la multitude affolée » d’un corps-sujet scindé en groupuscules en errance

d’un sujet-pensant disloqué dans une multitude du sens /

– insensée ?

Artaud « carné d’incarné de volonté osseuse sur cartilages de volonté entrée »

entendant des voix qui ne sont plus des voix appartenant au monde des idées

qui ne sont pas les voix de Titiana

Ophélie, Béatrice, Ulysse, Monella ou Ligeia

Eschyle, Hamlet ou Penthésilée,

mais les voix de Sonia Mossé – morte en 1943 dans une chambre à gaz du camp d’extermination de Majdanek,

de Germaine Artaud – sa petite sœur morte à 7 mois,

d’Yvonne Allendy – morte d’un cancer en 1935,

de Neneka Chilé, sa grand-mère maternelle.

Une inspiration « habitée » ?

 

Murielle Compère-Demarcy

 


  • Vu : 3954

Réseaux Sociaux

A propos du rédacteur

MCDEM (Murielle Compère-Demarcy)


Lire toutes les publications de Murielle Compère-Demarcy dans la Cause Littéraire


Murielle Compère-Demarcy (pseudo MCDem.) après des études à Paris-IV Sorbonne en Philosophie et Lettres et au lycée Fénelon (Paris, 5e) en École préparatoire Littéraire, vit aujourd'hui à proximité de Chantilly et de Senlis dans l’Oise où elle se consacre à l'écriture.

Elle dirige la collection "Présences d'écriture" des éditions Douro.

 

Bibliographie

Poésie

  • Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009
  • Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015
  • La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature Chiendents, no 78, 2015
  • Trash fragilité, éditions Le Citron gare, 2015
  • Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015
  • Je tu mon AlterÈgoïste, préface d'Alain Marc, 2016
  • Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016
  • Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016
  • Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017
  • Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. « Parole en liberté », 2017
  • Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018
  • ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, collection "Encres blanches" , n°718, 2018
  • L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. « La Main aux poètes », 2018
  • Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019
  • Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. « L'Or du Temps », 2019
  • Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019
  • L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. « Les 4 saisons », 2020
  • Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020
  • Werner Lambersy, Editions les Vanneaux ; 2020
  • Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda; 2021
  • Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, 2021 avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier.
  • l'ange du mascaret, Editions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord ; 2022. Prélude et Avant-Propos Laurent Boisselier.
  • La deuxième bouche, avec le psychanalyste-écrivain Philippe Bouret, Sinope Editions ; 2022. Préface de Sylvestre Clancier (Président de l'Académie Mallarmé).
  • L'appel de la louve, Editions du Cygne, Collection Le chant du cygne ; 2023.
  • Louve, y es-tu ? , Editions Douro, Coll. Poésies au Présent ; 2023.