Après la nuit après, Thierry Radière (par Murielle Compère-Demarcy)
Après la nuit après, éd. Alcyone, coll. Surya, mai 2018, 67 pages, 18 €
Ecrivain(s): Thierry Radière
Le miel se fabrique ici dans la ruche des songes, Après la nuit après, juste au sortir du Rêve. La singularité de ce nouveau recueil de Thierry Radière se tient, non entre chien et loup mais, à ses antipodes analogues, dans l’entre-deux communicant du sommeil en phase terminale et du réveil qui n’a pas encore tout à fait mis pied à terre (« (…) cet instant-là entre deux nuits où le jour (sera) court (…) »).
La situation du paroxysme plonge l’auteur et les lecteurs de ces lignes dans le plaisir de l’Écrire, passerelle sous laquelle court l’appel de la lumière, suspendue dans « la nuit en apnée ».
Nous connaissions L’Expérience de la nuit ainsi que Marcel Béalu nous l’a retranscrite – pour citer en exemple un auteur s’étant toujours tenu, comme ici et souvent Thierry Radière, dans l’entre-deux créatif du rêve et du réel –, son écart énigmatique fascinant dans l’entre-deux où se meut le mystérieux pouvoir des mots quand les clés de la poésie y forgent des portes entrouvertes.
Le titre, avec ses deux prépositions circonstancielles qui le clôturent, « après la nuit après » (sans ponctuation suivant le premier « après » ni avant le second) indiquent que nous naviguerons ici en eaux troubles, dans cette zone de turbulence où notre sang circule, entre une nuit qui finit de s’assoupir et le réel du « monde interprété » (Rilke) qui commence de s’agiter. « Monde interprété » que Thierry Radière tient sur le versant du Sens tout en flirtant avec l’Imaginaire, et là est sa puissance poétique, la marque et la force de sa singularité. Il ne s’agit en effet pas ici de nous transporter dans un univers fantasmagorique qui n’aurait plus aucun lien avec la cohérence, même invisible mais sous-jacente, du cours du monde. Thierry Radière dans Après la nuit après tire vers nous les filets de haute ligne déposés sur l’onde de nos vibrations nocturnes et diurnes, pour nous déposer en offrande un réel revisité révélateur. Révélateur des incongruités pleines de sens, fabuleuses parfois, qui sous-tendent le mystère d’un monde traversé par nos rêves éveillés ou profonds ; révélateur par son compte-rendu original de la sensibilité et de la singularité talentueuse de l’auteur qui en écrit les résidus légendaires.
Les migrations effectuées sont aussi diverses que nos états de demie-veille ou demi-sommeil font de nous, par la grâce du vivant qui afflue dans nos cours en eau vive, les passagers de courants captés par la sève des mots. Mauvais rêves, réminiscences, instants rares « d’appel au relâchement total », moments du réveil solitaire dans le silence des autres alors que les meubles parlent « avec leurs mots d’une autre langue », minutes oscillantes entre l’espoir et le doute… Il arrive que le rêve ancre une digue dans la plénitude mouvante et infinie de la réalité, s’y cristallise assez pour former la plateforme intégrale du réel avec, comme une apparition effective, son décor et de ses personnages, et qu’il faille attendre l’irruption d’un nouveau sommeil pour redessiner les contours, le tracé d’un vécu palpable, tangible. Ainsi cette chienne que l’on croit morte dans un mauvais rêve, que l’on cherche, et qui actionne par la force magnétique de sa présence une dimension ex anima (animus ex anima…) où se mêlent souvenirs, fantasmes, présent factuel :
« Comme la chienne n’était plus là tu as cru qu’elle était morte (…) et forcément tu as fait un mauvais rêve mais sans plus tu as parlé du fait qu’elle reviendrait sûrement lors d’un prochain sommeil (…) tu as raisonde le penser (les animaux) font aller nos vies là où on ne les attendait pas (…) ».
Nous sommes en tant que lecteurs transportés dans une dimension étrange et familière, via un récit-rêve décliné en petits poèmes en prose où l’intime et l’Inconnu viennent à notre rencontre dans l’ambiance d’un huis-clos onirique entrouvert aux tumultes de la vie journalière, du monde extérieur, de leur fracas et bruissements de signes contre la vitre de notre nuit intérieure. La vie-lumière et sa spontanéité de bric et de broc – ces petits rien qui font tout – diffusent toujours leurs scintillements /éclats /miroitements sur la géode des pages animées /habitées par l’écriture de Thierry Radière. Car, « (…) la vie a ceci d’émouvant/ qu’elle s’attache aux choses comme un/ ciment entre deux parpaings mis n’importe/ comment afin de grandir ». La vie que rien ne justifie à part la lumière où la prendre/la surprendre, cadrée parfois Après la nuit aprèsdans un petit poème en prose aux vers, eux justifiés, pour que l’Infini du récit-rêve commence…
Murielle Compère-Demarcy
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