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Antonello de Messine, Une clairière à s’ouvrir, Franck Guyon (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 03.03.25 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Antonello de Messine, Une clairière à s’ouvrir, Franck Guyon, éd. L’Atelier Contemporain, octobre 2024, 102 pages, 14 €

Antonello de Messine, Une clairière à s’ouvrir, Franck Guyon (par Didier Ayres)

Cette étude de Franck Guyon sur La Vierge de l’Annonciation d’Antonello de Messine, tableau datant d’environ de 1475, est bel et bien un livre parlant. Je dis cela à deux titres : d’une part, l’ouvrage parle de lui-même et de l’intelligence de l’auteur, et encore parlant d’autre part, car toute peinture n’existe que sujette à la parole (ou à la pensée dans la contemplation muette), le tableau ne se concevant que comme devant susciter du langage, des signes de langage, des outils de la pensée. Le tableau n’existerait pas sans cette compréhension langagière.

CET ÉVÉNEMENT A LIEU.

Il se produit fort humblement sous la forme d’un panneau de bois peint, haut de quarante-cinq centimètres et large de trente-quatre.

Le créateur de l’événement se nomme Antonello de Messine.

L’événement a lieu aux alentours de l’année 1476 ou 1477, après l’Incarnation.

Cet événement se nomme : Vierge de l’Annonciation.

Revenons à notre sujet : une Annonciation sans Gabriel, sans colombe, sans paysage. Il ne reste que la Vierge. Une Vierge que l’ange destine, élit, et ce faisant annonce depuis l’invisible (le hors champ du tableau), où toute la puissance de Dieu est induite, montrant quelque chose que seule la prière mystique pourrait rendre visible. C’est une rencontre stupéfiante, saisissante, presque inquiétante tant le silence règne au sein de cette glorification de la Vierge Marie. Il ne subsiste qu’un visage, un voile, un livre ouvert sur un lutrin et les deux mains de la jeune fille qui ont frappé Franck Guyon.

Oui, il y a attente. Et de ce fait, peut-être cette vierge de De Messine serait une Vierge de l’Annonciation, mais juste un peu avant la révélation de son état de gravidité. Une vierge en attente de la révélation. Toujours est-il que c’est le silence, la parole invisible de l’ange qui prend possession de l’univers de Marie. Le silence et l’invisible, telles les lois de la croyance.

Ainsi, la divinité saille depuis ce néant exprimé ici par l’épure absolue de la condition de fécondation de la parole de Dieu – ce que les mystiques savent pertinemment. Donc, ce tableau est une exégèse évangélique. Une position théologique. On ouvre le tableau par le regard – un peu comme Georges Didi-Huberman le fait pour Venus (Ouvrir Venus). Cette étude parle bien de cela : comment Marie devient sainte dans un monde sans aucun bruit et de très peu de matière, mais noyée dans tellement d’invisible que la Vierge devient sacrée.

Marie croise le divin. Elle en est composée. Elle fait sienne sa propre divinité. Elle est sujette à une kénose foudroyante. Elle boit à la fontaine de l’amour divin, d’une eau qui détruit toute soif, d’une eau sans couleur, d’une eau sacrée qui la désigne à ce haut commandement de Dieu : tu mettras un Dieu au jour, tu enfanteras du Christ.

NOUS TOUCHERIONS AINSI, par cette épuration des plus drastiques, l’os même de l’essentiel. Même cet essentiel est toujours, à jamais, cette même histoire : cette rencontre unique entre ce Gabriel l’annonciateur et cette Marie l’annoncée : un rendez-vous qui s’effectue, comme tous les rendez-vous, avec date et lieu.

La représentation de l’invisible dans la peinture est une quadrature du cercle. Mais ici, en présence d’un Dieu, d’un Ange et d’un livre, tout est dirigé vers l’invisible, car ils sont absents du tableau mais générant une vierge Sainte.

DEPUIS L’OBSCUR : donner pour un instant (guère plus) le nom de lumière à cette condition même du représentable, à ce divin qui est seul à pouvoir posséder l’art de manifester la présence.

Nous ne sommes nulle part. Nous assistons en silence à la parole de Dieu. Nous partageons le mystère de l’Incarnation, une jeune fille divinisée, une espèce de transsubstantiation d’un mot dans un corps. D’un invisible dans du visible. D’une parole muette dans une représentation elliptique et pauvre en mots. Oui, nous ne sommes nulle part. Ailleurs. Le sacré se joue de quelque chose d’imperceptible. Un mystère. L’évangile de la naissance de Jésus. Tout le tableau désigne l’absence, le manquant. Il est une métaphore in absentia. La Vierge est synecdoque de l’Être divin. Elle participe à la grammaire de l’étantité, au langage de la sainteté, à la prière mystique. C’est une vierge du silence. Voilà succinctement ce que l’étude de Frank Guyon évoque à sa manière. Car le livre est ouvert, il rend l’interprétation disponible à tout lecteur passionné.

 

Didier Ayres



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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.