Anthologie secrète, Davertige
Anthologie secrète, Davertige, Mémoire d’encrier
Ecrivain(s): Davertige
Davertige. Voilà un nom de poète que vous n’avez peut-être jamais entendu. Il était haïtien. Il était aussi peintre, sous son vrai nom, Villard Denis. C’est en 1961 qu’il fait irruption dans la poésie haïtienne, avec un court recueil intitulé Idem. La voix de ce très jeune homme (il a à peine 22 ans) résonne d’emblée très fort et sera suivie l’année suivante d’un autre recueil, tout aussi court et au titre aussi énigmatique, Ibidem. Puis, malgré la reconnaissance, le silence. Celui de l’auteur, puis celui du peintre. Une tentative de roman qui partira au feu sous la pression de l’exigence littéraire de l’auteur. Un hommage public et discret en 1992, puis la réédition, accompagnée d’une réécriture en 2003 avec la présente édition, quelques mois avant sa disparition. Une édition / ré-édition portée par Rodney Saint-Eloi, le maître d’œuvre des éditions Mémoire d’encrier (installées en terre franco-canadienne) qui inclut aussi des gravures du peintre.
La précocité de l’écriture et sa rareté peuvent faire penser à la trajectoire d’un Rimbaud. La force de sa poésie est tout aussi imposante. Sa rareté encore plus radicale, même si compensée par une œuvre de peintre qui resterait à pleinement découvrir. Mais Davertige n’a pas besoin de telles références car sa voix est de celles qui sont uniques et qui n’ont ni à gagner ni à perdre à une quelconque comparaison. Si le comparatisme nous démange, nous pouvons évoquer Mallarmé dont la langue résonne ici, parée de quelques habits océaniques des Caraïbes. Tristan Tzara n’est pas très loin, lui non plus. Lautréamont aussi, qui rôde à l’entour. Mais laissons cela. Il est aussi possible, bien sûr, de situer Davertige dans une génération de poètes et écrivains haïtiens : cadet de quelques petites années de Frankétienne ou de George Castera, aîné de quelques mois de Gary Klang (autant d’auteurs que l’on peut découvrir dans l’anthologie de poésie haïtienne dirigée par James Noël). Mais sans doute ne faut-il pas se limiter à dire que Davertige est l’un des grands poètes haïtiens, un poète majeur si l’on en croît le doyen de la littérature d’Haïti, René Depestre, car dire « grand » ou « meilleur » en poésie, cela n’a pas forcément beaucoup de sens et reste terriblement subjectif. A la rigueur « important », si ses contemporains et les générations suivantes s’y réfèrent régulièrement. Il se trouve que cela est aussi le cas pour Davertige.
Pour notre part, son lyrisme profond, sans concessions, sans facilité ou pose artificielle, nous convainc et nous emporte un peu plus à chaque lecture. Comme d’autres, il a ses obscurités séduisantes. Des phrases et des images nous frappent comme éclats jaillis du poème et de la page.
Alors très haut toujours le fil de la métamorphose par dessus les eaux en hauteur, jusqu’à faire éclater ma flûte dans le verre aigu de la chanson.
Mais sans doute est-il un peu vain de parler de poésie face à de telles œuvres. En effet, en parler ne permet pas toujours de la partager, ni même d’en partager l’émotion. On se sent vite dépassé à vouloir investir une telle mission. On essaye de dire encore et encore sans vraiment y parvenir. Ici je ne peux vous la dire, cette poésie (ce qui serait encore le meilleur moyen de la partager), tout juste vous en faire lire quelques fragments insuffisants. Toujours insuffisants. Contentons-nous donc, pour finir, de partager de petits extraits des deux poèmes sans doute les plus souvent cités de Davertige, Pétion-ville en blanc et noir et Omabarigore :
Sa vie ce fut longtemps l’arbre de rêve bercé par la berceuse de l’enfance
Par la fumée d’un fer à repasser qui tournait ses cheveux
Et des chiendents rampaient autour de la maison
Avec l’étoile aux yeux avec la mare au cœur
La maison cette remise où le jour nous logions
Le charbon dans les fers brûlait et l’enfance et l’histoire de famille
La maison emplissait de fumée toutes les têtes
(…)
(…)
Au milieu des forêts qui résonnent de nos sens
Des arbres sont debout qui connaissent nos secrets
Toutes les portes s’ouvrent par la puissance de tes rêves
Chaque musicien a tes sens comme instrument
Et la nuit en collier autour de la danse
(…)
Marc Ossorguine
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