Anthologie de poésie haïtienne contemporaine dirigée et présentée par James Noël
Anthologie de poésie haïtienne contemporaine, novembre 2015, 572 pages, 9,90 €
Edition: Points
Découvertes. Découvertes avant tout avec cette anthologie. C’est d’ailleurs d’abord à cela que devrait servir toute anthologie. Le jeu de la compilation des « best of » est ici largement dépassé pour le lecteur ordinaire qui, quand bien même il ou elle serait amateur de poésie, découvre une diversité qu’il serait bien à mal d’apprécier par ses propres moyens.
Il peut sembler a priori difficile de trouver une unité parmi tous les auteurs rassemblés ici. Ce sont en effet 73 voix différentes qui sont offertes à notre curiosité, de celle du doyen René Depestre (né en 1926) à celle du benjamin, Fabian Charles (né en 1993). Si quelques voix peuvent nous être connues, sans forcément nous être familières, la plupart seront pour le lecteur une entière découverte. Chercher à tout prix quelque chose qui unifierait toutes ces voix au-delà du présent volume et de l’attachement à une île qui conjugue dans nos imaginaires continentaux exotisme et fascination, exubérance religieuse et musicale et drame sociaux, de l’esclavagisme aux catastrophes naturelles, pourrait sembler inutile et prétentieux (voire un peu méprisant et post-néo-colonialiste).
A la lecture et à travers les diversités de style, on peut cependant entendre un lyrisme profond, nourri d’un imaginaire fort, qui s’affirme sans complexe, sans réserve, vraie ou fausse. Une colère aussi. Colère parfois apaisée, parfois incandescente, le plus souvent combative. Une colère héritée de l’histoire et alimentée par le présent, qui peut aller bien au-delà de la revendication politique, apostrophant le lecteur quand ce n’est pas la langue et le langage eux-mêmes. La quête d’un ailleurs et d’un autrement est une des dimensions récurrentes de nombre des textes présentés, une quête qui trouve une forme d’aboutissement dans les poèmes écrits et donnés à lire. A la lecture et à la « disure », le lecteur-diseur comprend que la poésie est en ces terres étroitement mêlée au quotidien, que ses mots sont à tous, qu’elle utilise les mots de tous et les voix de chacun. James Noël et Rodney Saint-Eloi nous le redisent par ailleurs dans les repères qu’ils nous donnent en fin de volume : « Jamais trop loin, la poésie semble toujours s’adosser à la fenêtre. Comme si, face à l’extrême, le poème avait pour mission de dévitaliser les séismes. La poésie orale, celle des rues et des tambours de l’espérance, ajoutée au corps du texte qui se dilue en antidote dans l’âme d’un peuple. Comme pour creuser l’énigme existentielle, un hymne à la joie entre soleil et mer invoque, à même le langage, une manière de vivre et d’être au monde ».
La poésie est bien ici une forme de combat, pour la vie, pour la liberté de vivre, pour le langage lui-même. « Les mots sont fatigués mes frères » nous annonce Gary Klang dans Les mots pour conclure en affirmant Les mots n’expriment rien / Les mots sont des farceurs / Tout sourire est une quête de pouvoir. « Grandeur de l’homme » ou « Combat de mots » pourraient peut-être être envisagés comme sous-titres à ce recueil où la pulsion de vie jamais ne cède, usant de toute la puissance évocatrice, performatrice et transformatrice du langage. Sans doute plus invocation qu’évocation. Tout homme est un arbre qui touche le ciel nous dit Rodney Saint-Eloi dans un des poèmes présentés, « par la force de sa parole et de ses poèmes » sommes-nous tentés d’ajouter.
Une courte notice bibliographique sur chaque auteur (et il n’y a pas que des auteurs hommes) achève d’aiguiser notre curiosité et de nous donner envie d’explorer bien des œuvres plus avant (1).
Marc Ossorguine
(1) Cela est par exemple possible pour Makenzy Orcel dont la Contre Allée a récemment publié un recueil de poèmes, La nuit des terrasses, et les éditions Zulma, son dernier roman, L'ombre animale.
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