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Ambulance, Suso de Toro

Ecrit par Marc Ossorguine 03.09.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Rivages/Thriller, Espagne, Polars, Roman

Ambulance (Ambulancia), traduit de l’espagnol par Georges Tyras, 176 pages, 16 €

Ecrivain(s): Suso de Toro Edition: Rivages/Thriller

Ambulance, Suso de Toro

 

 

Santiago de Compostella, vous connaissez ? Saint-Jacques de Compostelle, le terminus de tous ces chemins qui rident les cartes de l’Europe, de plus en plus. Une ville de pèlerinage que l’on n’imagine a priori pas comme un décor propice au crime et à la folie (si ce n’est celle des foules de pèlerins, que la morale et l’église contiennent, tout de même !). Une petite ville plutôt calme, au bout du compte. Sauf quand… quand ça se met à ne plus aller ! Mais alors plus du tout. Si bien des chemins mènent à Compostelle, il semblerait aussi que les choses qui s’y passent sont parfois comme écrites d’avance, inévitables dans leur enchaînement absurde et irrépressible. Tellement inévitable que l’on peut même commencer par parler de ce roman un peu fou du Galicien Suso de Toro en commençant par sa fin. Une fin qui dit tout en ne révélant rien. Rassurez-vous.

« On n’y croît pas, hein ? Une ville si tranquille ! Mais c’est que de nos jours, il peut se passer n’importe quoi n’importe où. Le plus hallucinant, c’est que, si ça se trouve, toi tu n’as rien à y voir, tu vis ta vie, et tu te retrouves au milieu des emmerdes. Ça a pas de sens. De nos jours, le premier taré de ce genre qui croise ta route te pourrit l’existence, et toi, t’as rien demandé à personne. C’est ça la vie, ça peut se passer comme ça, c’est terrible qu’il y ait des types pareils en liberté. Aussi incroyable que ça paraisse, la vie de certaines personnes peut être un véritable chaos. Mais c’est ça, la vie, en général, si tu réfléchis bien, tu sais jamais ce qui peut se passer. Ça devrait pas être comme ça. Tiens, tu entends cette sirène ? C’est une ambulance, ça, eh ben, chaque fois que j’entends cette sirène-là, je préfère pas y penser parce que je fais un malaise. Tu crois que celui qu’on emmène là-dedans, il s’y attendait ? Je t’en fiche, pas même dans ses pires cauchemars ! Le mec, il est là, tranquille, et hop, il se retrouve dans une ambulance. Putain de Dieu, comment elle est, la vie. Toute sens dessus dessous. Le chaos, quoi… »

« Sacré chaos en effet que vont provoquer, ou dans lequel vont être entraînés deux Pieds nickelés tous juste sortis de taule. Le gringalet qui pousse devant lui sa bedaine et tire derrière lui Petete qui n’a été bon qu’à se tordre un pied lors de leur dernière tentative de braquage et qui boite comme une voiture avec un pneu crevé. D’une maladresse telle qu’elle en devient presque touchante, ils sont les champions pour attirer la poisse, sur eux-mêmes et sur ceux qu’ils croisent. Sur ce plan-là, ils seraient même à présenter hors compétition au festival des embrouilles. Ils ne sont pas forcément si méchants et dangereux que ça, encore que… mais quand ils apparaissent, il vaut certainement mieux changer de trottoir que d’engager la conversation. On ne sait jamais ».

Dans les rues de Santiago, vous pourrez aussi croiser Maquieira, le flic sur le point de prendre sa retraite qui se trimballe une maladie respiratoire vraiment grave. Les combines et les arrangements, il connaît lui aussi. Pas toujours pour le meilleur. Méfiez-vous de Casal, une pourriture, mais pas un chercheur d’embrouille. Un mac qui sait faire ses petites affaires et n’aime pas qu’on vienne les déranger. Si vous montez l’escalier, vous rencontrerez Anita, une des filles de Casal, qui connaît aussi bien Maquieira et Raphael, dit Petete… et qui apportera sa contribution, pas une des moindres, à la grande embrouille où rien n’était prévisible mais où tout était couru d’avance, comme cela sera répété de page en page. Peut-être que tout cela aurait pu tourner autrement, sans mêler à cette histoire la séduisante et gentille pharmacienne, et sans à nouveau abandonner le chien, Chucky. Mais pour ça, il aurait peut-être d’abord fallu que n’explosent pas ces bombes qui ont fait sortir les policiers de leurs trous, et puis il aurait aussi fallu éviter de taper si fort sur le pompiste…

Il y a pour le lecteur quelque chose de jubilatoire dans cette farce noire racontée avec toute la verve de la langue parlée, celle dont le vocabulaire et la syntaxe traînent tard dans la rue, loin des sanctuaires et des pèlerins. Une langue peut-être surjouée par l’écrivain, mais qui emporte notre adhésion et que le traducteur George Tyras fait résonner sur les trottoirs, dans la nuit des rues que les touristes ne fréquentent guère. En même temps, il y a aussi de la tragédie dans cette ambulance qui ramasse au petit matin ceux qui n’ont pas survécu au dernier acte de cet « opéra des gueux ». Une partition déjà écrite avec des fonds de bouteilles, quelques traces de sang et où le happy-end n’existe pas. Les belles histoires ne se vivent que dans les journaux pour naïfs, ceux que l’on jette à même le trottoir et sur lesquels passent les voitures, les pas pressés et la pluie.

On rit. Fort même, parfois. Mais on rit noir. On rit jaune. L’humour, surtout l’humour noir, noir comme les nuits galiciennes, c’est aussi une politesse et une élégance de la colère, du désespoir et de la révolte… Non ?

 

Marc Ossorguine

 


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A propos de l'écrivain

Suso de Toro

 

Suso De Toro (1956) est un des quelques écrivains dont la langue d'écriture est le Galicien, un langue plus proche du portugais que de l'espagnol même si la Galice reste une province espagnole. Originaire de St Jacques de Compostelle (Santiago de Compostela). Diplômé en art moderne et contemporain, il publie son premier récit en 1983, Caixón desastre, récompensé par le Prix de littérature galicienne de l'Université de St Jacques de Compostelle. Il a publié depuis quinze autres romans et récits, du théâtre et de la littérature jeunesse ainsi qu'une douzaine d'écrits journalistiques et essais. Il ne dédaigne pas la co-écriture ou les anthologie et a ainsi contribué à près de 20 ouvrages.

Seul trois titres ont a ce jour été traduits en français : Land Rover (land Rover), Ambulance (Ambulancia) et Le treizième coup de minuit (Trece badaladas).

 


A propos du rédacteur

Marc Ossorguine

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature espagnole (et hispanophone, notamment Argentine) et catalane, littératures d'Europe centrale (surtout tchèque et hongroise), Suisse, littératures caraïbéennes, littératures scandinaves et parfois extrême orient (Japon, Corée, Chine) - en général les littératures non-francophone (avec exception pour la Suisse)

Genres et/ou formes : roman, poésie, théâtre, nouvelles, noir et polar... et les inclassables!

Maisons d'édition plus particulièrement suivies : La Contre Allée, Quidam, Métailié, Agone, L'Age d'homme, Zulma, Viviane Hamy - dans l'ensemble, très curieux du travail des "petits" éditeurs

 

Né la même année que la Ve République, et impliqué depuis plus de vingt ans dans le travail social et la formation, j'écris assez régulièrement pour des revues professionnelles mais je n'ai jamais renié mes passions premières, la musique (classique et jazz surtout) et les livres et la langue, les langues. Les livres envahissent ma maison chaque jour un peu plus et le monde entier y est bienvenu, que ce soit sous la forme de romans, de poésies, de théâtre, d'essais, de BD… traduits ou en V.O., en français, en anglais, en espagnol ou en catalan… Mon plaisir depuis quelques temps, est de les partager au travers de blogs et de groupes de lecture.

Blog : filsdelectures.fr