Allah et les mosquées cinq étoiles (par Amin Zaoui)
Dans toute religion, monothéiste, polythéiste, bouddhiste, ou celle des anciens Égyptiens, le croyant essaye de créer l’image de dieu en s’inspirant de sa propre image. Le fidèle veut un dieu à sa guise, à sa taille, à sa culture, à ses fantasmes et à son caractère.
À travers l’histoire des religions dans le monde, le fidèle à toujours désiré que les habitations de dieu soient à l’image de ses propres habitations : hautes, immenses, puissantes et résistantes aux temps ; dans notre monde les belles mosquées sont construites à l’image des palais du gouverneur, du calife, du président, du roi, du chef de tribu.
Le cadre d’une vie divine est calqué sur le cadre de la vie humaine. Élever une mosquée cinq étoiles, dans la tête du gouverneur islamiste, c’est construire ce lieu à l’image de son palais présidentiel, son château, sa somptueuse villa… Les choix architecturaux et les goûts urbanistes se ressemblent ; dans les deux cas, on trouve beaucoup de lustres.
Beaucoup de marbre. Beaucoup de tapis. Beaucoup d’étages ! Le grand, c’est le symbole de la force. Le fortuné, c’est le pouvoir. Mais, permettez-moi, et en toute franchise et spontanéité, de poser cette question qui creuse avec persévérance dans ma tête : est-ce que Dieu, Lui qui habite tous les lieux et tous les non-lieux, accepte-t-Il de vivre dans une demeure faite à l’image d’un palais présidentiel ou d’un château royal ? Je ne le crois pas.
Une autre question qui m’interpelle, me taraude l’esprit, et je vous la livre sans retouche ni hypocrisie : quand une mosquée cinq étoiles est construite avec un argent volé ou douteux, les marchés passés avec des factures falsifiées, Allah accepte-t-Il de rentrer dans ce lieu ? Pardonnez-moi, mon Dieu, Vous êtes dans tous les lieux et dans tous les non-lieux, mais je ne le crois pas.
Et excusez-moi ma langue piquante ! Une autre question me fait mal au cœur et torture ma conscience, et Pardonnez-moi mon Dieu de la poser sans gants et sans masque : quand une mosquée cinq étoiles est construite avec les bras des non-musulmans pour des musulmans qui du matin au soir tiennent les murs par leur dos, n’arrêtent pas de jeter l’anathème sur leurs confrères musulmans, ne cessent d’insulter dans leurs cinq prières quotidiennes ceux qui construisent pour eux une mosquée cinq étoiles destinée à un dieu qu’ils souhaitent à leur guise et à leur taille intellectuelle et à leur croyance trouée, Dieu répond-Il aux appels de ces fidèles sous le toit de cet édifice grandiose ?
Bien que Dieu soit clément et miséricordieux, mais je ne le crois pas, et pardonnez-moi mon Dieu mon ignorance et ma curiosité en ce mois sacré de Ramadan. Parce qu’Allah est Juste et Justice, je L’imagine tourner le dos aux pseudo-fidèles qui passent, du dos aux murs, aux fronts, aux tapis, sous le minaret d’une mosquée cinq étoiles. Et pardonnez-moi mon Dieu ma droiture et mon ignorance aussi.
Et parce qu’Allah ne tolère pas la corruption, n’aime pas les corrompus, les appels des prières dans les mosquées construites pour Lui avec un argent douteux n’atteignent jamais le Ciel, même avec un minaret de cinq cents mètres de hauteur et des haut-parleurs sophistiqués made in Japon !
Le minaret le plus long de la planète et de l’histoire de l’islam ne rend pas la prière mieux écoutée par le Ciel. Allah est capable d’écouter le gémissement d’une fourmi souffrante dans les montagnes du Djurdjura ou de l’Himalaya.
Dans une mosquée construite par les bras des non-musulmans pour des musulmans qui ont les bras croisés regardant avec excitation le match Réal-Barca, Dieu ne tendra jamais Son écoute divine aux appels de ces pseudo-prieurs. Et pardonnez-moi mon Dieu ma déraison humaine et mon ignorance.
Dieu n’écoute pas l’appel parvenant du peuple d’un pays où on construit une mosquée cinq étoiles, et dont les enfants ont besoin d’une paire de chaussures en plastique pour rejoindre une école lointaine sans chauffage, ni réfectoire, ni tables ! Un cri d’un enfant qui a faim est plus écouté par Dieu qu’un appel à la prière dans une mosquée cinq étoiles dans un pays où les enfants ne trouvent pas un bus pour rejoindre l’école ou un morceau de craie pour écrire le nom de leur pays. Dans une mosquée cinq étoiles, on ne prie pas Allah, on prie celui qui représente Allah.
Sous prétexte de défendre Allah, et pourtant Allah n’a pas besoin ni d’armée ni d’avocats pour se défendre, en réalité on défend celui qui prétend être l’ombre d’Allah. Même dans une mosquée cinq étoiles où l’appel à la prière est lancé d’un minaret de trois cents mètres de hauteur, Allah n’Exauce pas les prières de ces pseudo-fidèles qui sèment la haine dans des prêches incendiaires.
Et pardonnez-moi cette langue cuisante, mon Dieu. J’aime bien les belles mosquées construites dans des pays où la liberté de confession est respectée, où les enfants ont de belles écoles, des stades, des hôpitaux, des bibliothèques, des autoroutes, du bon pain, des conservatoires, des chaussures, des carottes, de l’espoir, des trottoirs, des jardins publics…
J’ai toujours imaginé la mosquée en un lieu de débats, tous débats confondus, dont les idées vont de la raison de la foi jusqu’à la raison de l’apostasie. Pour atteindre Votre Lumière, mon Dieu, les hommes sont appelés à monter une échelle de la raison et une autre de la spiritualité. Et pardonnez-moi, mon Dieu adorable, cette évasion en ce mois sacré de Ramadan.
Amin Zaoui
Souffles in "Liberté" (Alger)
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