A.I.R 2015, Littérature, cinéma : les pouvoirs de la fiction, Mardi 26 mai
« Le cinéaste et la romancière »
Dans le cadre de l’édition 2015 des Assisses internationales du roman à Lyon, Joy Sorman et Olivier Assayas ont pu échanger sur leur démarche respective, à l’occasion de la sortie de leurs derniers livres : La peau de l’ours, Gallimard 2014, et Assayas par Assayas. Des débuts aux Destinées sentimentales, avec Jean-Michel Frodon, Stock 2014.
Le cinéma et la littérature romanesque ne sont pas uniquement affaire de fiction, de récit, mais aussi de documentation, de description. Joy Sorman a d’abord dans son tout premier texte mené une autofiction, c’est-à-dire qu’elle s’est documentée sur elle-même, la fille qu’elle a pu être à un moment. Pour Assayas, il est question de traverser le réel en vie. L’entreprise du scénariste est avant tout forme dialoguée alors que l’enjeu principal et du film et du roman repose sur l’incarnation, l’épaisseur d’une matière.
Pour Assayas, le genèse de son travail de cinéaste est passée par la recherche d’un apaisement, d’une souffrance à évacuer d’abord dans la solitude de la peinture et du dessin et ensuite par la nécessité de sortir de lui-même, de regarder autrui et donc de faire des films. Ce qui importe, c’est bien de se confronter au monde. Et le cinéma est d’ailleurs fondamentalement travail d’équipe.
Pour Joy Sorman, le roman ne parvient pas à justement incarner le visage comme le fait le cinéma ; le visage par exemple du boucher, dans Comme une bête, renvoie à une pure intériorité. Dans la description romanesque, en fait « je ne vois pas » ; seuls des symptômes prennent forme. Le cinéma, lui, approche la surface, la peau des êtres. Le visage qui dit la première fois de sa bouche, telle est la spécificité du cinéma d’après Assayas. Le scénario (le support écrit du film) est, selon lui, quelque chose qui se matérialise plutôt que ce qu’il a écrit au préalable. Le travail avec les comédiens importe davantage et il faut laisser venir les choses.
Dans le domaine littéraire, le lecteur est sa propre incarnation.
La question de l’adaptation cinématographique des œuvres littéraires est, quant à elle pour Assayas, fidélité comme le montrent Les Destinées sentimentales, adaptées de Jacques Chardonne. Le roman lui-même est un témoignage documenté de la vie industrielle dans la région de Cognac, témoignage familial. Assayas reprend intégralement certains passages du texte, tourne sur les lieux de l’action romanesque, recrute comme figurants des parents de l’auteur. Sa recherche sur le passé le ramène à notre présent.
Il semble bien en tout état de cause que le cinéma nourrit la littérature et les auteurs : Joy Sorman comme bon nombre d’écrivains est une cinéphile qui se plonge dans certains univers, celui de Werner Herzog par exemple. Il serait donc tout à fait envisageable d’adapter La peau de l’ours, d’autant que le film Freaks est au cœur du livre de Joy Sorman. Certaines scènes sont déjà dans notre imaginaire, renvoyant à l’univers du conte (La Belle et la Bête) ou des histoires de monstruosité (Elephant Man). Assayas pourrait faire une adaptation de l’ours, façon « trash » de ce dernier roman. Ce que Joy Sorman aime au cinéma, c’est moins le récit que précisément tout ce qui incarne les paysages, les costumes, toutes les « textures » qu’il prodigue. La fiction révèle la vie rêvée, le visible et l’invisible.
Marie Du Crest
Olivier Assayas, dernier film : Sils Maria (2014)
Joy Sorman : Comme une bête (2012)
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