Ainsi parlait, W. B. Yeats (par Didier Ayres)
Ainsi parlait, W. B. Yeats, éditions Arfuyen, avril 2021, trad. anglais Marie-France de Palacio, 176 pages, 14 €
Exploration
J’ai été frappé par ce « ainsi parlait » du poète irlandais et prix Nobel de littérature, W. B. Yeats, car ce que relatent ses dits et maximes recoupe tout à fait des préoccupations qui me traversent. En effet la quête spirituelle de tout lecteur, de tout créateur aussi, en passe par cette aporie : figurer une abstraction dans des termes concrets, contenir dieu dans un langage qui par essence se prête à tout, alors que la divinité est seulement hauteur. Donc appuyer une recherche métaphysique sur la physique du langage, les règles de la prosodie. Et Yeats y arrive et contribue à donner de l’espoir pour ceux qui cherchent cette exploration du domaine de l’esprit.
Cependant, nous n’assistons pas à une opposition du profane et du sacré, mais à leur mélange : L’homme sous la lumière et Dieu, la tension terrestre sous la vivacité de l’existence céleste, activité poétique se distinguant de la pensée matérialiste. Donc, le chant, la psalmodie, la musique du poème.
Je m’exalte peut-être devant cette réussite littéraire où dès les premiers textes de Yeats l’on devine ce qui va suivre, à tel point que cette promenade dans le livre a exercé un souffle intérieur en moi. Le texte, les textes et les poèmes sont d’abord symboles, où l’écrit vient se mouler sur une chose abstraite et plus élevée, comme le font les deux parties du symbolon – συμβάλλω.
La vie mystique est au cœur de tout ce que je fais, de tout ce que je pense et de tout ce que j’écris. Elle entretient avec mon œuvre la même relation que celle qu’entretenait la philosophie de Godwin avec l’œuvre de Shelley et je me suis toujours considéré moi-même comme une voix de ce que je crois être une plus grande renaissance – la révolte de l’âme contre l’intellect – faisant ses premières armes maintenant dans le monde.
La fréquentation de l’univers de la féerie contribue aussi à dessiner un endroit où forces fantastiques et puissance terrestre se mêlent et se répondent – cette voie féerique étant déjà présente dans La Tempête par exemple. Cela permet aussi au lecteur d’ouvrir son esprit à ce monde poétique venant de si loin, peut-être des paganismes rêvés.
Cela n’empêche nullement le poète d’explorer les grandes questions : l’art, la beauté, Dieu, les valeurs universelles, et ou encore l’engagement politique. Cette complexité de l’approche mystique n’en pâtit pas et se trouve aidée dans cette quête. Dans une écriture sans orgueil, sans métaphores compliquées, en une sorte d’engagement « pauvre » au sens de Tauler.
Seul peut créer la plus grande beauté imaginable celui qui a enduré tous les tourments imaginables, car ce n’est que lorsque nous aurons vu et prévu ce que nous redoutons que nous serons récompensés par cet éblouissant et imprévisible vagabond aux pieds ailés.
Avec ce dernier extrait, je reviens à mon incipit du début pour dire que je pense exactement la même chose, à savoir qu’un artiste n’existe que par le passage dans un enfer, enfer personnel ou enfer du monde. Il faut remercier Marie-France de Palacio pour ce choix dans l’œuvre de Yeats qui oriente sans doute une lecture en transversale.
Didier Ayres
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