Ainsi parlait André Gide, Gérard Bocholier (par Didier Ayres)
Ainsi parlait André Gide, Gérard Bocholier, éditions Arfuyen, mai 2022, 14 €
Qualifier
Je connais André Gide depuis mon adolescence – ce qui est aussi le cas de Gérard Bocholier, qui le confie dans sa préface à ce recueil de dits et de maximes. Cela ne m’a pas empêché de découvrir un Gide concerné par les arts, c’est-à-dire, tout serré autour de question de l’art. Cette prose, que je pourrais comparer à l’écriture de Diderot, claire, un peu froide, un style décidé, sans failles, presque dur, impliqué en tout cas, se déploie sans exagérations et intériorise l’œuvre d’art comme contenu et comme adresse à un lecteur ou au spectateur. Gide s’intéresse ici à la fabrication du poème et à celui qui écrit, au poète. La réception des textes est aussi importante que l’œuvre elle-même. Et l’écriture suit, sans suffocation, l’intelligence du propos, mais sans sombrer dans le comment du poème, regardant davantage le pourquoi, ce qui revient à écrire sur l’essence du phénomène artistique. Donc, une expression profonde, sans manière, intelligente mais qui ne se met pas en scène.
Ces aphorismes qualifient davantage qu’ils décrivent. L’art est considéré dans sa relation à la personne humaine, autant qu’au gré des pensées religieuses qui, sans mysticisme, avancent grâce à l’authenticité de l’intention et de celle de la langue, authenticité qui est preuve d’une vérité, fût-elle personnelle. Thèmes et archétypes fondamentaux, universaux, servent l’intellection gidienne, avec hauteur de vue sans prétention, en une sorte de régime musical modérato cantabile. Gide garde suffisamment de distance avec son sujet, ce qui permet au lecteur d’entrer dans sa pensée, un régime intérieur du langage chantant et modéré. En ce sens, peut-être cette prose est-elle à l’image de la littérature française du XVIIIème siècle, une langue qui pense plus qu’elle ne distrait.
Chaque poète a son lyrisme, comme chaque prosateur a son style, et du lyrisme aussi l’on pourrait dire, comme disait Buffon du style, qu’il est « de l’homme même ».
Ici c’est une vision du monde à la fois lucide et un peu glaciale, sans excès de sensibilité, forme de discernement des choses écrites, créées, un pensement droit, direct, franc.
Le véritable artiste reste toujours à demi inconscient de lui-même, lorsqu’il produit. Il ne sait pas au juste qui il est. Il n’arrive à se connaître qu’à travers son œuvre, que par son œuvre, qu’après son œuvre…
On rentre dans le secret de l’œuvre d’art, aucunement à la façon de Bachelard, plus dans un esprit de clarté philosophique propre à un écrivain protestant, Rousseau peut-être.
L’œuvre de l’artiste ne m’intéresse pleinement que si, tout à la fois, je la sens en relation directe et sincère avec le monde extérieur, en relation intime et secrète avec son auteur.
Cette prose creuse son sujet, excave les mots, perfore, cherchant l’utilité, la démonstration sans violence, qui va d’un pas assuré. Prose qui est en elle-même fidélité, finitude, alpha et oméga. Il s’agit sans doute pour Gide de rêver à une authenticité parfaite du poème et par voie de conséquence du poète lui-même. Écrire doit poursuivre de hauts buts moraux, servir de règles de vie strictes et appesanties. Car l’écriture est recherche de vérité laquelle demeure soumise aux aléas de la vie, de l’intellection que donne la vie, qualifiant l’existence, lui rendant un rang sacré. L’œuvre est sacrée. Écrire doit améliorer l’homme, le bonifier, l’agrandir. N’est-ce pas là la plus belle leçon pour le poète ?
Didier Ayres
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