Ailleurs et sur la Terre, Jacques Sternberg
Ailleurs et sur la Terre, novembre 2011, 270 pages, 12 €
Ecrivain(s): Jacques Sternberg Edition: Mijade« Tu es quelqu’un de bien » entend-on souvent ; quelqu’un de bien, vraiment ? A en croire Jacques Sternberg, nous serions plutôt quelqu’un de « pire » au point d’être considérés par l’auteur comme les créatures les plus odieuses et les plus exsangues de sentiments de toutes les galaxies.
Ailleurs et sur la Terre est une anthologie de nouvelles publiées entre 1958 et 1995, par Jacques Sternberg, un des rares auteurs de science-fiction de langue française à la réputation internationale.
Maître de la démonstration par l’absurde, Jacques Sternberg n’a de cesse de prouver à son lecteur que le monde sans l’homme est finalement bien plus policé et fréquentable qu’avec la présence de celui qui a inventé les notions de société, de respect ou de droits de l’homme. Quoique… ces derniers soient bien appliqués puisqu’il ne s’agit en somme que de conquérir des terres peuplées d’êtres non-humains, donc non éligibles à l’application d’un traité quelconque. C’est qu’ainsi, avec une grande ironie – parfois amusée, parfois désabusée voire désespérée – que l’auteur nous renvoie à nos propres errements ou contradictions, comme dans la courte histoire « Les étrangers ». Qui d’ailleurs n’est pas sans nous rappeler une actualité teintée de polémique autour de la notion « d’identité »…
« C’est en 2045 que les hommes arrivèrent pour la première fois sur une planète perdue, jamais repérée, et pourtant, fait exceptionnel, habitée par d’autres humains. Ils nous ressemblaient comme des frères. Ils vivaient comme nous, mangeaient, baisaient, travaillaient, dormaient et raisonnaient comme nous. Parqués dans des appartements la nuit, dans des bureaux le jour. Exactement comme tous les terriens civilisés.
Raison pour laquelle les hommes ne purent pas demeurer plus d’une heure sur ce monde lointain : considérés comme des étrangers, on les refoula, puisqu’ils n’avaient ni passeports ni visas en règle ».
Et de nouvelles en nouvelles, nous explorons ainsi les territoires fantastiques et angoissants de nos propres failles intérieures, de nos monstruosités sociales, métaphoriquement représentées par d’autres univers, d’autres planètes, d’autres époques, d’autres, si semblables à nous.
En traversant de lointaines galaxies à bord de nos navettes suréquipées, en parcourant des territoires étranges où la mort est toujours là, sous une de ses multiples facettes, en allant et venant entre hier et demain, nous nous interrogeons sur l’utilité des machines, sur le pourrissement de nos civilisations, sur l’écologie… De nombreuses questions auxquelles Jacques Sternberg ne nous propose pas de solutions toutes faites ; mais il nous offre par le truchement d’une lecture tantôt visionnaire, tantôt réaliste, un panorama de représentations d’une humanité vaine et obscène dans ses désirs de conquête et de puissance, de rage et de folie guerrière. Ailleurs et sur la Terre est un livre profondément pessimiste, mais qui sonne juste et dont je laisserai la conclusion au narrateur de la nouvelle « Celui qui savait » :
« Nous aurions dû penser au passé de l’humanité avant de nous lancer avec tant d’assurance dans l’avenir. Mais les hommes pensent toujours à tout sauf à l’essentiel. Nous sommes les fils du superflu ».
(Tout public)
Laetitia Steinbach
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