After®, Auriane Velten (par Didier Smal)
After®, Auriane Velten, Folio SF, septembre 2022, 288 pages, 8,90 €
Edition: Folio (Gallimard)
Comme l’indique son titre, After®, et la collection dans laquelle il est réédité, Folio SF, le premier roman d’Auriane Velten appartient au genre post-apocalyptique, celui qui raconte la Terre et, surtout, l’humanité d’après une catastrophe, généralement liée à une grosse bêtise bien humaine – chez Dick ou d’autres, la faveur allait à la bombe atomique. Chez Velten, cela reste peu clair, car on est loin désormais des années cinquante ou soixante, ou même soixante-dix, durant lesquelles la crainte que la Guerre Froide s’échauffe voire se mette à bouillir générait des angoisses, tant littéraires qu’existentielles, et il ne s’agit plus pour cette jeune autrice de mettre en garde contre la bombe, mais bien contre la perte d’humanité, le réel danger contemporain. Car c’est ce dont il s’agit dans ce bref roman, de notre part d’humanité, celle qui nous incite à contempler par exemple les six tapisseries composant La Dame à la licorne, et de la perte – et donc la redécouverte – de cette part.
La mention de ce chef-d’œuvre du gothique international datant du début du XVIe siècle n’est absolument pas fortuite : c’est lui que Cami et Paule, deux du millier de rescapés vivant en société sous un baobab gigantesque, vont découvrir en quittant l’univers du « Dogme » pour se rendre dans les « terres renoncées », c’est-à-dire un Paris en ruine, archéologique, où se trouvent depuis trois mille ans protégées des œuvres d’art, entre autres à « Cluni ». C’est le point de départ d’un cheminement tant intellectuel que sensoriel, auquel est préparé Cami, qui est curieux dans une société égalitaire au point que la curiosité, signe d’exception, en devient un défaut, mais qui va bouleverser Paule, qui l’accompagne afin que ne soit pas perdu ce « Dogme » au fil d’une quête inquiétante car risquant de ramener l’humanité à son état d’avant la catastrophe.
Pour montrer cette société égalitaire, Velten a posé le choix d’une écriture moderne, inclusive, impliquant qu’il faut bien s’entendre avec « touts » (animaux, végétaux, autres humains), et que les pronoms personnels « il » et « elle » ont fusionné en un « ile ». D’autres variantes syntaxiques ou orthographiques parsèment ce bref roman aux paragraphes courts, à l’écriture quasi journalistique dans la phraséologie, en suffisance pour que le lecteur comprenne à quel point le désir égalitaire doit se refléter dans la langue (mais on vient à soupçonner que Velten est peu critique à cet égard, elle qui use de son artifice inclusif dans les remerciements en fin de volume), mais sans un quelconque excès qui pourrait lasser. De là à crier au génie, n’exagérons rien : on est loin, très loin d’un Damasio ou d’un Novarina, et l’on peut même soupçonner un petit effet stylistique surtout réussi en ceci qu’il a plu à la critique et au jury des Utopiales.
Il en va de même, au fond, pour le récit en tant que tel : certes, Velten modernise certaines préoccupations, ainsi que certains phénomènes propres à une humanité post-apocalyptique, générant même l’une ou l’autre heureuse surprise, mais au bout de cent pages, le lecteur aguerri a compris à quoi il faut s’attendre – et effectivement, il n’est pas déçu un peu moins de deux cents pages plus loin. La matrice du récit, malgré des variantes que l’on tait pour que subsiste un relatif plaisir de lecture, est aisément identifiable (la redécouverte de la culture en tant qu’elle fonde notre humanité), et si Velten en remplit bien le cahier des charges, elle n’a malheureusement pas le souffle narratif nécessaire pour bousculer véritablement les attentes de l’amateur.
Nonobstant, de la belle ouvrage – mais pas du grand art.
Didier Smal
Auriane Velten (1991) est licenciée de sociologie et anthropologie, ainsi que de journalisme. After® est son premier roman.
- Vu : 1056