Adieu Nabil Farès : il était une fois l’Algérie, par Amin Zaoui
Il était une fois, l’Algérie, ceci est le titre du dernier roman de feu Nabil Farès qui vient de nous quitter en ce 30 août 2016.
Yahia, pas de chance, ceci est le titre d’un de ses premiers romans. Et Nabil Farès n’a pas eu de chance. Il est l’un des oubliés de la littérature algérienne d’expression française.
Nabil Farès est le fils de Abderrahmane Farès, président de l’exécutif provisoire algérien. L’un des aînés, avec toute la charge symbolique de ce mot : Aîné. Sagesse. Exploration. Courage. Patriotisme. Engagement. Les oubliés de la carte culturelle, les éraflés des espaces culturels algériens ou algérois. Ils sont entre autres Nabil Farès, Messaour Boulanouar, Mourad Bourboune, Kaddour M’hamsadji, personne ou presque, de cette nouvelle génération, lecteurs et écrivains confondus, ne se souvient de ces noms qui jadis étaient les bons faiseurs de romans et de poésies.
Tous ces noms ne disent rien, ou presque rien, aux yeux des « importants » de l’Algérie culturelle et littéraire d’aujourd’hui. Qui parmi nous n’a pas lu Le Muezzin de Mourad Bourboune, roman courageux et dénonciateur, publié en 1968 ? En ce temps morose que traversent tous les pays du Sud, Le Muezzindemeure un texte d’actualité politique et littéraire. Qui n’a pas, un jour, lu Le Silence des cendres de Kaddour M’hamasadji, premier roman algérien traduit en chinois ? Et traduit en arabe par Hanafi Benaïssa (lui aussi oublié), traducteur sans pair. Qui n’a pas, un jour, lu quelques beaux poèmes de feu Messaour Boulanouar, poète dont le nom figure dans la première anthologie de la poésie algérienne écrite par Jean Sénac ? Première reconnaissance par Jean Sénac ! Chacun de ces écrivains vit encerclé par le silence, la maladie ou la marginalisation ou par la mort.
Hormis ses visites personnelles ou familiales, Nabile Farès vit seul, loin de la société culturelle ou littéraire de notre pays ! Existe-il une société d’intellectuels ? Nabil Farès est l’écrivain algérien le plus souriant ! Toujours par les éclats de rire qu’il aborde son interlocuteur. Œil sur l’Algérie, qu’il vénère. Son pays qu’il a quitté depuis le jour de l’assassinat du président Mohamed Boudiaf. Même boudé, marginalisé dans son pays, Nabil Farès a continué à écrire des romans. À nous surprendre. À participer dans des débats autour de son pays l’Algérie, son Algérie à lui. Son dernier roman intitulé Il était une fois, l’Algérie est publié aux éditions Achab à Tizi Ouzou en 2011. Une jeune maison d’édition dirigée par un jeune Algérien, qui relève le défi en publiant Jacques Prévert en tamazight !
Dans son roman Il était une fois l’Algérie, écrit sur un ton poétique et fragmenté, Nabil Farès peint l’Algérie de la violence et de la fascination. Entre conte, roman et poésie, l’écrivain monte son texte sur la magie du fantastique. Il appartient à la littérature de Kateb Yacine. Les personnages : Slimane Drif, écrivain débutant, Linda, peintre et amie de Slimane, Tania, fille de Selma la disparue… vivent comme dans un cauchemar général ou généralisé. À travers l’enlèvement de Selma, le séisme de Boumerdès, les images cauchemardesques du gouffre, les folies, les égarements… le texte baigne comme dans la noirceur éclairée. Il était une fois l’Algérie est un roman sur la philosophie de la violence, écrit par un psychanalyste. Le même scénario, qu’ont vécu Mohamed Dib, Mohamed Arkoun, Rabah Belamri, Nordine Abba… tous morts dans l’indifférence et le silence complice, enterrés dans une terre étrangère, se dessine une fois encore pour Nabil Farès, cet enfant fragile de cette Algérie forte.
Ma dernière rencontre avec Nabil Farès, auteur de Yahia, pas de chance, c’était à Bruxelles, dans un colloque sur « les francophonies d’Europe, du Maghreb et du Machrek » en novembre 2011. Sa présence notable m’a fait penser à toutes ces belles plumes qui ont marqué la littérature algérienne d’expression française avec force et avec grand amour pour l’Algérie. Et ils sont morts en silence ! Aujourd’hui, Nabil Farès, lui aussi, a plié ses bagages pour dire à l’Algérie, même si elle n’était pas très clémente envers lui : Adieu mon amour.
Amin Zaoui
In "Souffles" (Liberté, Alger)
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