Accessions et chutes, Thomas Vercruysse (par Didier Ayres)
Accessions et chutes, Thomas Vercruysse, éditions La Rumeur libre, 2017, 112 pages, 16 €
Un éclairage sur la maison d’éditions La Rumeur libre
Communiquer
Il est essentiel pour partager la voix d’un livre, et je le dirais de la première conduite du poème, de communiquer avec soi dans un temps préalable, puis vers le lecteur. Au cœur de la liaison que propose le livre, il y a un acte de communication, fût-il un simple souffle. La principale notion pour définir le poème est bien celle du bord, ligne qui ferme et engendre la forme. Écrire, c’est transmettre, donc fréquenter les arcanes de la signification, même si une certaine rhétorique est nécessaire ; ce qui persiste, c’est la sensualité des mots, son aspect fougueux, sa nouveauté et son accent intérieur. Toujours est-il que le lecteur est d’abord un herméneute.
Ici, avec Thomas Vercruysse, il s’agit d’un monde qu’aborde le poète avec sincérité, avec une certaine confiance dans l’aspect matériel de la langue ; ici pas de fausse fête du langage, mais une écriture simple, une éloquence. J’ai trouvé dans ce recueil, l’aspiration radicale et d’une extrême fraîcheur pour une sorte de danse du signe. Puis, depuis celui-ci, la définition squelettique de la communication : un émetteur, un message, un récepteur. Et là rien de facile ; au contraire c’est une vraie difficulté pour l’écrivain de se satisfaire de cette simplicité laquelle, dans une sorte d’anorexie littéraire, pousse à dire la chose, juste la chose, juste le trait, juste la présence, juste la forme.
Ce message, là le poème, éprouve longtemps la question de la voix (et donc d’une herméneutique du cri, de son attribution). La voix plonge, vague, cherche ses images, garde l’éclat intérieur tel que le poète nous la donne à lire, voix articulée sur le feu, voix vagabonde et presque sans maître (je songe au titre de la pièce pour voix et six instruments de Boulez, Le Marteau sans maître). Donc une lecture exigeante est nécessaire, et seule susceptible de prendre un plaisir d’équilibriste tant cette phonation est claire.
Il n’y a pas de voix
Mais de la poussière
Au lieu de chant.
Dans ta gorge il y a encore
Un nom qui traîne
Et toutes nos phrases naissent avec lui.
Un regard infini, Tombeau de Georges-Emmanuel Clancier, Sylvestre, éditions La Rumeur libre, avril 2021, 96 pages, 16 €
Dans ce recueil de Sylvestre, l’acte de communiquer se soumet au genre du tombeau, compris, ajusté par le poète et le fils de l’écrivain G.-E. Clancier pour honorer la mémoire de celui-ci. Mais sans stricte rhétorique, préférant la voix personnelle à la composition littéraire classique du tombeau – composition poétique à la mémoire d’un grand auteur.
C’est la finesse, la pudeur, le souvenir parfois très lointain (le père de Sylvestre est mort à 104 ans !) qui dressent le portrait de l’écrivain limousin et sa parfaite union avec son fils. Donc, ce n’est pas le respect protocolaire de la filiation, mais un vrai sentiment de partage du défunt, en sa substantifique mémoire, qui semble conduire Sylvestre, et donner à comprendre en quoi la paternité de cette espèce est un don.
Ainsi, la principale notion qui persiste une fois le livre fermé, c’est la plasticité du souvenir, que l’acte poétique habite et rend présent. Souvenir, mémoire, donc une réflexion sur la durée, sur le temps de vivre, sur l’enfance, à la fois une mémoire raréfiée et substantifique, et le substrat du temps comme endroit d’éclosion, voire de vie. Cette mémoire n’est pas morte, le souvenir guette sans cesse.
Si cela communique un état du souvenir, cela dessine aussi le contour de la filiation. Être l’enfant de. Je crois (au regard de ma propre expérience) que le fait de la transmission est un passage essentiel dans la vie d’un créateur (fût-elle comme cette passation impossible de mon propre père, sachant que cela constitue quand même un acte de passation).
L’écriture dénude les sentiments
les repoussant, les enveloppant
d’épines et de brouillards.
Ils refluent
un peu déformés
très doucement se terrent.
On voit ainsi une double figure : celui qui écrit sur celui qui écrit. Donc, une écriture qui se double du présent et du passé. Double présence de l’auteur et du père de l’auteur, tous deux écrivains. Ce tombeau sert en quelque sorte d’épitaphe, étudiant en creux la relation filiale.
Aura-t-il retrouvé
ce que le regard ignorait
qu’il ne pouvait imaginer
Lui, le poète, le père aimant
au regard infini ?
Le père assimilé à un corps organique, est avec nous un instant prolongé dans l’admiration du fils, lequel n’oppose rien à la grandeur du père, sinon à comparer son propre destin !
Didier Ayres
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