À tous les airs (ritournelle), Stéphane Vanderhaeghe, par Marc Ossorguine
À tous les airs (ritournelle), Stéphane Vanderhaeghe, Quidam, octobre 2017, 260 pages, 20 €
Fichtre ! Voilà un nouvel OLNI qui cherche à se poser dans des cerveaux de lecteurs. Oui, OLNI. OLNI pour Objet Littéraire Non Identifié. Tellement NI que je me demande, humble écriveur qui tente d’écrire sur des écrits, comment en causer. Ce n’est pas que, mais enfin quand même. N’allez pas croire que… Croire quoi ? Croire que… Bon, c’est mal parti on dirait. C’est que c’est tellement instable, insaisissable, mouvant et incertain que… ça chantonne sur on ne sait quels airs…
Bon. Reprenons. Tentons de, au moins. Pas à pas, comme dans une enquête où les indices sont si ténus que l’on finit peut-être par les inventer, les rêver. Peut-être commencer par l’auteur. Oui, l’auteur. Alors l’auteur, c’est Stéphane Vanderhaeghe. C’est son nom. Son blase comme on dit. Stéphane Vanderhaeghe a déjà écrit un… disons un livre. Un livre au titre imprononçable : Charøgnards. Un livre qui finissait par s’effacer. C’est dire. C’est déjà cet éditeur hors norme qu’est Quidam qui l’avait édité. On en avait causé ici (enfin, plutôt là).
Le titre, vous l’avez déjà. C’est vrai. J’ai failli oublier. L’auteur aussi vous l’aviez déjà. C’est vrai aussi. Mais il faut bien partir de ce qu’on a. Et puis À tous les airs, ça ne dit pas grand-chose. Sauf que peut-être, ça prend l’air de partout ce… roman ? récit ? texte ? Cette « ritournelle » ! Bon, disons ritournelle. C’est d’ailleurs l’auteur qui le dit.
Quoi d’autre ? Un cimetière. Un cimetière avec ses tombes. Ou plutôt les tombes de ceux qui y sont enterrés. Et puis une femme. Une femme qui n’est jamais ni tout à fait la même ni tout a fait une autre. Solange, Lénore, Anne, Rosa, Agnès, Léona, Olga… Madame ou mademoiselle, c’est selon. Il y aussi un corbeau. Ou une. Et puis un délit. Enfin, il doit bien y en avoir un de délit puisqu’il y a une enquête et un enquêteur bavard qui a du mal à supporter l’adjudant-chef. Mais lequel ? Le délit. C’est quoi le délit ? Peu importe au fond. Un délit et donc surtout une enquête. Une enquête qui concerne madame, mademoiselle… Anne, Solange, Agnès, Lénore…
Tout ce monde tourne autour du cimetière. Avec en plus le poète du cimetière. Poète qui n’est ni l’adjudant, ni l’inspecteur, ni… ah si. L’inspecteur. Il n’est pas que bavard et séducteur séduit, l’inspecteur narrateur intermittent, il est aussi cinéphile et poète à ses heures, et voyez-vous, la poésie, pour un vers, la poésie ne recule devant rien, rien Solange – rien ! Pas étonnant alors que de presque rien, d’on ne sait quoi, l’on finisse par faire toute une histoire. Des histoires même.
Et à mesure qu’enflent les potins, relayés par de vagues souvenirs qui s’entrecroisent, on finit trop facilement par donner dans la surenchère : personne ne semble jamais enclin à vérifier ni ne se soucie sérieusement des faits ou de la vraisemblance des hypothèse avancées, chichement d’abord puis crânement, qui soudain paraissent s’autonomiser.
Comme dans la vraie vie, il arrive que ce soit aussi les morts qui continuent de dicter leurs rôles aux vivants, leurs personnages. Des personnages qui ont alors perdu leurs auteurs, comme chez… Car en fait, la réalité n’est que fiction, non ? Sans fiction, la réalité et le réel pourraient bien s’effondrer. Pas sûr que quelqu’un s’en rende compte le jour où cela arrivera. Agnès si. Sans doute. Peut-être Solange aussi. Quant à l’auteur…
Quant à l’auteur, il a laissé traîner ses notes entre les pages. Il nous y dit que le livre pourrait être le seul personnage… le seul rescapé de cette histoire qui pourrait bien ne s’être déroulé qu’entre 6h27 et 7h26 (deux horaires qui ne cessent de revenir quand on s’égare). Mais il peut s’en passer des choses en 59’. Des vies peuvent basculer, entrer sur scène ou la quitter… Quant au lecteur…
Quant au lecteur, qu’il se débrouille !…
Merci. Merci l’auteur. Alors à me débrouiller, lecteur, je vais donc me débrouiller et essayer de vous débrouiller aussi un peu, autres lecteurs. En tentant d’éviter de m’embrouiller, je dirais qu’il y a de l’Alfred dans cette histoire. De l’Alfred Hitchcock qui considérait que la vraisemblance était vraiment très accessoire dans ses films et scénarii. Il suffit de croire en un McGuffin quelconque pour que tout accroche et tienne, peu importe ce qu’il est et s’il est vraisemblable (surtout ne pas s’y intéresser mais y croire et ne pas l’interroger ou le vérifier, ne surtout pas chercher à le voir, bien entendu). La vraisemblance semble en effet bien loin de ce que recherchent les personnages. Pas plus que l’auteur en quête de personnages. Le McGuffin peut s’appeler cimetière ou corbeau ou tombe ou fantôme du passé ou poète ou ou ou… De toute façon tout cela ne se passe que dans le monde des mots, du langage ou de la langue. Des idées. Comme l’Alfred qui apparaît subrepticement dans un plan du film, le Stéphane – excusez cette familiarité mais à force de fréquenter ces pages, cela devait bien finir par arriver – nous fait de temps en temps des petites phrases en insert, des petites réflexions qui nous rappellent au texte écrit plutôt qu’à l’histoire. Et pourtant…
Dans ce manège qui ne cesse de tourner et s’emballe, on se met à douter : qui est la proie de qui, le prix de quoi – mais il est trop tard déjà.
… Il est trop tard, nous voilà pris dans l’histoire, dans l’énigme, dans le tissage des indices, dans la recherche de la conclusion possible… D’ailleurs tout cela commence à prendre épaisseur, des vrais drames humains pointent sous les pages, entre les lignes, malgré la poétique policière et bavarde d’un inspecteur qui n’y croit pas vraiment lui à toutes ces histoires. A croire qu’il n’y voit qu’un scénario mal ficelé d’un remake, d’une adaptation approximative d’un film d’Alfred ou de Clouzot (Le Clouzot du Corbeau, pas celui de la Panthère rose). A croire. Et la ritournelle s’impose. On mélange les paroles et comme dans la chanson des poètes qui ont disparu, on fait la la la la la la. N’empêche, nous voilà pris dans les rets du langage. Dans les ruses des phrases rosses (séduits par les roses des phrases russes ?). Soliloques, réflexions, dialogues à un, notes griffonnées, mots croisés, incunables, avis publics… Il y a de tout dans À tous les airs (je viens même d’y retrouver une mouche écrasée, aplatie et étalée, comme une fleur délicate dans un herbier). Comme dans la littérature, quoi.
Pour autant il se pourrait bien que tout cela ne soit nullement gratuit et que si l’on accepte le jeu, on accepte en même temps d’explorer jusqu’au fond du sac les mystères de la littérature, de la fiction et de l’imaginaire qui font le réel. Qui nous font ce que nous sommes ou pourrions être, des êtres de langage auxquels le langage donne vie. Que les mots nourrissent et font vivre. Et mourir peut-être aussi. Mais vivre, tenir un rôle, un personnage qui serait nous.
Je ne sais pas, des fois je me dis que ça ne me ressemble pas, quoi, si vous voyez ce que je veux dire, que ce n’est pas… moi, quoi, tout simplement… C’est juste… C’est que… Enfin… Non, je sais pas trop, et puis, faut que je vous dise, quelque chose part, en fait, si, voilà, j’ose à peine me l’avouer mais enfin c’est que ça me fait un peu peur… Ça ne vous arrive jamais vous ? de ne plus vous reconnaître ? de vous dire que, je sais pas, moi, que vous êtes engluée dans le langage poisseux d’un autre, ou quand vous vous réveillez le matin, de vous dire que le réveil ne sonne pas à la bonne heure, que vous êtes comme qui dirait consignée dans le rêve d’un autre, que le rôle que vous jouez n’a pas été taillé pour vous ou que ce n’est pas la bonne personne qui vous donne la réplique, ce genre de choses, quoi, si vous voyez ce que je veux dire – ??
Il faut savoir ne pas être trop sérieux quand de pareilles questions nous tombent sur le coin de la figure. On ne parle jamais qu’avec ce qui traîne dans la langue, disait le Roland, Roland Barthes, le sémiologue… mais quand on parle, cela produit aussi des choses, des choses qui traînent dans le réel… Il se pourrait bien que nous ne soyons tous que des morceaux de récits maladroits faits par d’autres avec ce qu’ils ont trouvé…
OLNI, disions-nous. Oui O.L.N.I. … Complètement et foncièrement L., mais bien N.I. aussi. On s’y perd un peu, mais on s’y amuse follement, avec une gravité ironique qui nous fait sourire des paradoxaux abîmes et vertiges de la littérature.
7h26 : silence radieux.
Marc Ossorguine
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