À propos de Un monde de rosée, René Le Corre, par Didier Ayres
Un monde de rosée, René Le Corre, Monde en poésie, éditions 2017, 130 pages, 12 €
Poésie et temps
Il y a je crois deux voies d’accès au recueil de René Le Corre, en jouant sur la polysémie du mot temps. En effet, le poète prête attention au temps historique, social, politique, du monde d’aujourd’hui, ainsi qu’au temps qui passe, temps philosophique, temps théologique, temps de la vie. J’ai été pour ma part très intéressé par la deuxième acception du terme, et particulièrement par l’aspect de cette poésie qui relate la vie d’un poète vieux – sachant que je trouve assez juste cette réflexion que me faisait un ami peintre qui me confiait que la peinture est un métier de vieux, idée que j’étends ici à la poésie. Oui, la poésie est un métier, une école intérieure, où le poète avec l’âge raréfie ses images, quintessencie son vocabulaire afin d’améliorer la force du discours.
Pour poursuivre ces lignes autour du Monde de rosée, j’adopterai les termes de poésie « horizontale » qui s’attache à tisser des liens avec autrui, et de poésie « verticale » car en lien avec la spiritualité. Je pensais en parcourant ce livre, qui est une anthologie de textes anciens et nouveaux de l’auteur breton, à ce que la mécanique de la poésie prend à la mécanique du temps et pour mieux dire, ce qui souligne l’importance du temps pour assembler les hommes entre eux tout autant que se révèle une voix spirituelle et réparatrice.
Avant de citer quelques lignes du poème, je précise qu’outre le temps dont on parle ici, j’étais occupé à découvrir en quoi le livre donnait à voir le mystère, mystère qui pour moi est une des tâches de l’écriture poétique, mystère qui agrandit, qui ajoute, croît.
Ce qui est magnifique, ce n’est pas ce que dit la voix, mais qu’il y ait une voix. Ce qui est magnifique, et qui ne peut être détruit – sinon c’est la fin – c’est la voix, pas encore la parole, pas encore le langage, mais le silence enveloppé de son (« la voix du silence ») qui accompagne l’habitation, le pas de l’homme sur la terre, debout parmi tous les êtres, eux aussi doués de voix et de silence, le chant du monde.
Je ne me suis pas interdit non plus de penser l’homme derrière le poète. Je crois d’ailleurs que le parcours de l’auteur, de la prêtrise à la vie laïque et au poème, représente en soi une expérience philosophique et poétique à part entière. On comprend mieux certains passages du texte en connaissant que le poète a quitté le monde religieux pour approcher l’univers humain, quitter la pure chose spirituelle pour se consacrer aux autres, dans une démarche de sagesse, dans une réflexion faite action. Le poète ayant quitté le sacerdoce religieux afin de, peut-être aussi, rejoindre la sensitivité du monde et qui sait, de la poésie.
Je parlais du temps tout à l’heure et j’aimerais revenir au texte de René Le Corre lui-même :
Le temps s’en va, laissant dans la mémoire les souvenirs d’or et de sang qui s’amassent chez les uns et les autres. Et, tout à coup, le feu prend dans la paille entassée des vieilles meules, le temps éclate et se renverse.
En relisant les notes prises au cours de ma lecture, je me suis aperçu que les mots « mystère », « amour », « dieu », « temps » ou simplement « nature » m’ont servi de guide tout au long de cette interprétation des textes. Et je ne voudrais pas refermer ces lignes sans mettre l’accent sur le lien au monde maritime du poète breton avec cette citation, tirée des Paysages dans la baie :
Après le vallon et les découvertes étonnées des fleurs, des plantes, des sources, de la chapelle enfin et ce long, quasi-méditatif cheminement à travers les roseaux, tout d’un coup la mer resplendissante, montant sur le sable merveilleusement blanc de Gwen Trez, puis toute la suite des criques, des plages, des dunes, apparitions fugitives comme des éclairs de blanc écumeux, de vert et de bleu, intensités scintillantes du soleil en fin d’après-midi. Nous sommes pris, emportés dans le vent, la chaleur, le bruit de l’océan. C’est comme un excès, une jouissance, un trop plein d’espaces de liberté.
Didier Ayres
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