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À propos de Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres le 18.04.18 dans La Une CED, Les Chroniques

Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, éd. Leméac/Actes-Sud, mars 2018, 96 pages, 14 €

À propos de Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, par Didier Ayres

 

Identité

En quatre actes et 26 scènes, Wajdi Mouawad dresse le portrait violent d’un problème éthique et interroge le spectateur/lecteur. Avec cette question : qu’est-ce que l’identité ? Et même s’il faut taire le dénouement et le coup de théâtre qui clôt la pièce, tout confine à la plasticité en relation avec l’identité, notamment religieuse ou nationale.

Énonçons quand même deux mots de l’histoire, laquelle rejoint celles des grands mythes de notre patrimoine théâtral. Et ici, nous revisitons l’amour impossible de Roméo et Juliette, dont les familles respectives ennemies traversent des douleurs et des batailles historiques. Là, le conflit israélo-palestinien qui se calque sur l’amour de Wahida et Eitan. Donc l’amour impossible entre un Israélien et une Palestinienne, nœud gordien que ne tranche pas vraiment la pièce.

Il faut cependant aller plus loin, car la pièce ne se cantonne pas à l’énumération de ces problèmes. Deux êtres s’aiment et ne peuvent s’aimer, subissent et font subir, reproduisent et cèlent le destin tragique de la cohabitation des deux peuples. Cet amour se reflète dans la grande Histoire : celle des attaques palestiniennes – relayées par la télévision – et les réactions belliqueuses d’Israël.

Pour moi il s’agit surtout de plasticité. Oui, le texte nous laisse spectateur du caractère meuble du temps et de l’espace, voire de la motilité des personnages, issus parfois d’un lointain ou d’une autre période diachronique que celle des contemporains de la pièce.

On pourrait néanmoins considérer Tous des oiseauxdu point de vue de la grande littérature mystique perse, ou de celui de la légende de saint François, pour comprendre pour finir que ces oiseaux sont des métaphores de l’homme et que la pièce aurait pu s’intituler : « tous des hommes ».

Esthétiquement j’ai pensé à plusieurs reprises à la forme cinématographique d’un réalisateur comme Atom Egoyan, donc à une forme traversée par une sorte d’impureté – comme toute identité en vérité est traversée de notions étrangères à la nature de l’identité acceptée, subie ou volontaire. On comprend bien que Wajdi Mouawad est lui aussi composé de différentes couches de culture, l’une d’expression française, l’autre, celle d’un Libanais ayant vécu au Canada.

Wahida : J’ai été de l’autre côté du mur, j’ai marché au hasard dans la poussière de la Palestine et j’ai eu l’impression de rentrer chez moi. J’ai dormi chez des gens que je ne connaissais pas et quand on m’a demandé le nom de mon père j’ai explosé en sanglots. Jamais encore depuis je n’avais entendu mon prénom si bien prononcé.

Élasticité du temps, élasticité de l’espace et tout confine à rapprocher cette pièce des grands paradigmes du théâtre baroque. On est souvent surpris par la liberté que l’auteur prend avec son sujet, et c’est un plaisir esthétique de lecteur qui me fait dire cela. À ces différentes malléabilités correspond une incertitude sur les langues censées être parlées dans la pièce : allemand, hébreu, arabe, anglais…

Norah : Tu es mignonne. C’est le visage d’une chienne. Plus celui d’une femme, d’un humain, d’une mère, d’une psy, d’une Juive, d’une Allemande, non. D’une chienne. Prête à mordre pour sauver son monde, et mon monde est en train de se détruire, et je ne sais pas ce qui le détruit.

Et tout cela reste du registre du questionnement, de la propre interrogation sur soi, sur autrui, et ce qui appartient à notre propre identité, naturelle, fictive, recherchée. Pour conclure, je reproduis quelques lignes du texte à travers quelques lignes du dialogue du début, qui laissent entendre une des préoccupations qui fait miroir à l’ouvrage.

Wahida : Je crois que son histoire permet de répondre à certaines questions que notre époque nous pose.

Eden : Quelles questions ?

Wahida : Faut-il à ce point s’attacher à nos identités perdues ? Qu’est-ce qu’une vie entre deux mondes ? Qu’est-ce qu’un migrant ? Qu’est-ce qu’un réfugié ? Qu’est-ce qu’un mutant ?

 

Didier Ayres

 


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.