A propos de Ta résonance, ma retenue, Serge Ritman, par Didier Ayres
Èros et Politikos
A propos de Ta résonance, ma retenue, Serge Ritman, Tarabuste éditions, avril 2017, 324 pages, 22 €
La lecture de Ta résonance, ma retenue de Serge Ritman est exigeante et parfois âpre, aussi solitaire que l’exercice de la pensée qui se dévoile au fur et à mesure de ce que l’on pourrait peut-être considérer comme une anthologie. D’ailleurs, il n’est pas improbable que la suite des recueils que compte le livre soit chronologique et nous mène à l’amble de la vie du poète. Je dis cela car il y a une évolution assez visible de pages en pages qui nous font partager la matière, celle du corps disons, érotique, jusqu’à celle du corps, disons, politique et en butte au monde contemporain. Donc pas du tout une poésie de « tour d’ivoire ». C’est ainsi que j’ai balancé d’un chapitre à l’autre pendant plusieurs heures afin de suivre au mieux la pensée du poète, et que j’ai pu en noter le glissement progressif.
Il reste une grande chose qui lie, à mon sens, la totalité de l’ouvrage, c’est bel et bien la question du corps au sens propre du terme, peut-être plus présente au début, mais dont le thème ne s’épuise pas complètement en route. C’est l’impression de cette poésie du corps qui est la plus forte et avec elle une poésie de l’Autre, Autre considéré conceptuellement comme une sorte de corps/barré. Oui, un corps écrit, faisant exister un corps comme effacé, signifiant par lui-même son propre système d’expression. Mais quand même absent, ailleurs, dans une érotique par exemple, jusqu’au corps biologique qui de fait est proprement barré, réduit à des signaux, et ce faisant jusqu’à l’ample mélopée du monde qui bourdonne et tourne incessamment. Quoi qu’il en soit, il paraît net que le poète s’intéresse, en approfondissant la lecture de poèmes en poèmes, à la question du monde, comme seul un intellectuel est capable de dénoncer des injustices et des violences, le corps politique étant pris ici presque sans métaphore. Car cette brutalité que l’on imagine au détour d’un vers, est sujette aux mots, aux mots des maux. Ici, c’est une sorte de visée politique, historique et dialectique (et j’espère que je ne m’avance pas trop) qui œuvre dans le poème, comme une fermentation. Donc, on va du corps aimé au champ politique, avec plaisir et engouement.
Mais, citons :
Elle n’a qu’un temps intérieur. Il ne retient rien de ce qui leur arrive. Elle sait que ce n’est pas une histoire de souvenir. Ils écoutent ce que peuvent leurs corps.
Je cite peu le livre de Ritman, tellement il est constitué de formes rhétoriques différentes, qui vont d’une poésie contrainte (comme l’est le sonnet par exemple) à des jeux de calligraphies, des passages en prose, des textes centrés, des corps gras ou italiques (encore du corps !) ; bref, il s’agit d’un art poétique complexe qui nous livre à la fois éros et thanatos, des ambiances visiblement vécues avec intensité, des voyages. C’est une polygraphie qui demande au lecteur beaucoup de sérieux et d’appesantissement. Cependant, je voudrais finir ici cette note de lecture en laissant place à Serge Ritman et à ses mots, qui forment, je le répète, une sorte de trahison à mes yeux quant à cette polygraphie dont je parlais en supra. Mais, tel est le jeu de la critique littéraire…
comme une petite lueur au loin dans la forêt
il palpe l’écorce de mes cuisses tes bouleaux
mordorées mes jambes qui serrent ton poème
sa bouche dans la bouche de quelqu’un ouvre
mes yeux qui tournent dans les tiens te voir là
comme une petite lueur au loin dans la forêt
je te laisse remonter avec sa langue une odeur
dans ta bouche dans ma bouche ou un doigt
apparaît le château dans la clairière je respire
et te laisse ouvrir les deux battants je crie en
t’étouffant
Didier Ayres
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