A propos de "Presque l’oubli", Jean Maison
Presque l’oubli, Jean Maison, éd. Ad Solem, juin 2015, 80 p., 19 €
Une poésie du labeur
Le dernier livre de Jean Maison est constitué de trois parties égales par le style. L’ouvrage s’ouvre sur la partie la plus « animée » de l’œuvre, poèmes courts, voire très courts, qui saisissent une brindille, un brin, un tout petit quelque chose, le « presque rien » de la philosophie.
On y voit des ouvriers au labeur de la cueillette, des paveurs loués, sorte d’aubains de la campagne, qui flambent à la lueur des torches, les corvées inhérentes au travail des champs, des manœuvres confrontés aux questions de l’âme, parfois, de simples soldats/paysans et maçons/ [qui] marchent à la journée.
La grande valeur de l’ouvrier
Demeure
Dans la plus petite dimension
Du pain quotidien
D’heure en heure
Il devient quelqu’un
Consacre ses gestes
Au gain de nature
Et prend soin des abandonnés
Il se tient sur son bien
Tels les ormes de Sully
Place de l’église
J’ai trouvé dans ce recueil une sorte de monde poétique très honnête, qui ne se livre pas à la confusion intellectuelle mais cherche l’être au milieu de lui-même. Là, justement, il y a de l’être, de la présence, une personne. Et pour ma part, c’est ce que je préfère dans la littérature, deviner l’homme qui se cache derrière l’auteur.
Il regarde ses mains calleuses
Avec la patience du preneur
Au bras de la mariée
Et c’est aux draps senteur d’iris
Que se mêle la chaleur nuptiale
Donc dans ces poèmes peu adjectivés, qui qualifient peu et qui laissent les noms dans une robe simple, on rencontre des travailleurs de la terre, peut-être à la manière dont Hugo a saisi le monde de la mer dans son exil à Guernesey.
On devine dans la compagnie d’ouvriers agricoles, on voit à travers cette poésie du labeur, la vraie naissance de l’homme de peine à sa peine d’homme, si je peux user de cette rhétorique. Oui, c’est là une poésie meuble, mobilière, comme le sont les transhumances, une poésie du mouvement, une poésie poreuse au monde du poète.
Presque l’oubli indique en quelque sorte l’action malgré l’oubli, et l’oubli comme l’effacement utile pour dégager ce qui est essentiel. D’ailleurs tout commence avec ce poème :
C’est le baiser de la mort
Que l’on portait aux ouvriers
Aux faucheurs alignés
Le long des prés
Les mains rougies
Les bouteilles plongées dans l’eau glacée
Trop tôt bues en écho
Dans le tintement du marteau à battre
Ceux-là sont désormais passés
Et c’est à vous trimards
Héritiers du chagrin des épierreurs
Que sont dédiées ces pages
Avant que l’oubli
Ne rejoigne la tombe
Parmi les forçats des Indes noires
Travailleur de la terre, vendangeur, cueilleur, travaux parfois nocturnes, telles sont les tâches du poète, de l’ouvrier, de l’artisan du langage, au milieu d’espaces géographiques – où je reconnais le Limousin parfois. Jean Maison travaille à la combustion, aux fours, avec la chaux pour apaiser les blessures existentielles, pour les désigner avec une certaine élégance et comme avec une sorte de calme élégiaque.
Didier Ayres
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