A propos de Lieux-non dits, Geneviève Roch, par Didier Ayres
Lieux-non dits, Geneviève Roch, éd. Le Lavoir St-Martin, 2013, 15 €
Une poésie autarcique
Le destin des livres est une affaire parfois mystérieuse. Il l’est d’autant que le livre passe le temps de sa publication et vient au regard d’un lecteur qui n’est plus tout à fait contemporain de la parution. Et c’est ce retard-même qui interroge. Tel est le cas de ce petit recueil que publiaient les éditions de Marie-Noëlle Chabrerie en 2013. C’est ainsi que la littérature résiste au temps séquencé de notre époque, faite d’oubli et de passions violentes – oubli violent lui aussi à la mesure de l’engouement artificiel et souvent médiatique d’un simple moment historique, que le livre lui, doit transcender.
Donc, Lieux-non dits est de cette espèce, un livre avec destin. D’ailleurs cette poésie se prête elle-même au temps, au phénomène d’usure de la durée. Et cette lutte intérieure contre le temps chronologique, est ici tenue en échec par des figures sans image, une langue abstraite et géométrique d’une poésie sans image, une sorte de représentation à la Bram Van Velde, qui se suffit à elle-même, qui se nourrit de sa propre force, une poésie autarcique.
Dès l’exergue, très bien choisi dans Roger Munier – « Mystique, peut-être, mais sans élans, sans Aimé, sans cantiques. Rien qu’une adoration immobile, abîmée… » –, nous sommes convoqués à un monde de silences expressifs, un vide habité, des images sans couleurs. Chute à pic// dans une trouée de noir total/l’absence s’abat/ l’absence de quelque chose/ qui cherche sa présence/ et ne la trouve pas. Ainsi, c’est la quête qui importe, plus que la chose quêtée, le chemin plus que cela vers quoi tend le chemin, un Destin plutôt qu’une destinée, l’absence plutôt que la parole. Et cela concerne, implique naissance et déclin [qui] se fondent dans la rencontre.
Car ici l’exacte définition de la rencontre avec autrui – qui est rencontre aussi du lecteur avec un livre – reste quelque chose qui met en jeu le destin de la rencontre et son apothéose, son climax dans cet instant qui revient à signifier une fin possible, tout autant que la seule issue de coudoyer, d’entrer en contact avec l’Autre.
le voici à cette croisée d’être
qui semble s’ouvrir partout
dans le branle-bas du visible
l’autre réel afflue
de l’inconcevable se rapproche
La recherche de la quintessence de voir par exemple, éloigne évidemment la poésie de son terme historique, lui fait dépasser la simple lecture graphique afin de représenter l’ailleurs de ce temps à venir, lequel engloutira le temps, mais pas le poème. Peut-être est-ce là la visée de tout poète, aller au-delà de sa propre contingence ?
Didier Ayres
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