A propos de L’ours des mers, Marc Kober, par Michel Host
L’ours des mers, Marc Kober, éd. Rougier Vincent, Coll. Plis Urgents, juin 2017, illust. Vincent Rougier, 50 pages, 13 €
D’un monde à l’autre
Le livre est mince et il tient à l’aise dans la poche. Il n’en est pas moins grand, il contient le monde sous « une nuit piquetée de points lumineux ». Bref, il tient sa place et son rang.
Le poète l’a divisé en six « sections », elles paraîtront ici et chacune à son tour.
L’ours des mers n’a pas volé son nom, il aime à se baigner : nous assistons à « son premier bain / au plus profond du nu ». On le devine blanc, car il porte des lunettes noires, selon celui qui le dessina avec finesse et élégance, Vincent Rougier. Il paraît dans son costume naturel, sous ses poils, tout comme un homme c’est probable, tout comme le « dieu nu dans les flots » de l’épigraphe, sous « la constellation du Grand Ours ». On le devine aussi peu rassuré que le lecteur ou que l’homme moyen « sans combine ». Ses pensées ne sont pourtant pas des plus pures (on y rencontre Dédé-la-saumure) et c’est le chaud mois de juin, tout cela est bizarre… pour un ours ! Les environs semblent peuplés de nudistes et d’étranges individus qui vont « Sous l’œil unique de Ganymède au naturel / La matraque en berne / La double lune à l’air ». Voilà qui semblera plus belge que nature au lecteur averti.
L’animal est à deux têtes, tel Janus ici, là il fait le singe dans l’eau tandis que s’érigent phares et arbres au « royaume des hommes nus… […] tous soumis à l’acupuncture solaire ». Rarement mots et images se seront accordés à ce point. Des femmes passent « inaccessibles », lui s’apprête à « entrer dans le sexe liquide la mer ». Cette fable, cette allégorie ne sont-elles pas étranges et néanmoins d’une limpide clarté ? La poésie ne doit-elle pas, dans ses tâches premières, nourrir l’imagination ?
Les Méduses poétiques sont « d’eau douce », se goûtent en sorbets, se croquent avec du « sel neige ». Ce monde grandit dans des proportions inavouables, il ne ressemble à aucun monde connu, peut-être relève-t-il d’une désorganisation singulière ou d’une organisation surréelle, pour ne pas dire surréaliste. « Taquiner la méduse… » ? N’en rêvez pas trop. Peut-être est-ce impossible. Dans un coin du tableau, vous verrez un amandier bander. C’est étrange aussi, un amandier qui bande. Merci au poète et à son illustrateur qui voyagent ensemble avec tant de bonheur. J’ai connu des personnes qui n’admettaient pas l’humour dans la poésie, encore moins le sourire et l’ironie portée sur les choses : ces personnes étaient plutôt malheureuses ! Lecteur, meurs en paix, car « Les Grecs mettaient des petits cailloux sur les morts » et tu auras, en prime, « un œuf qui te parle de la naissance de la mer », avec « l’odeur violente des narcisses blancs ». Autrement dit, prosaïquement dit, philosophiquement dit : qu’est-ce que la mort ?
Les Poèmes de l’Ouest Parisien sont deux, presque orphelins. Question subséquente : qu’est-ce que l’est parisien ? Qu’y a-t-il vers l’est parisien ? En apparence (c’est le cas de le dire), on y trouve « les poètes de Louveciennes », de vains gesticulateurs, et les chevaux du roi Soleil au carrefour de Marly : une illusion et un hologramme. Disons-le, notre monde est carrément autre et le poème nous l’aura changé. C’était d’ailleurs « l’hommage d’une caméra de surveillance » du temps où il y en avait une à chaque carrefour.
Les Haïkus de banlieue ont ceci de singulier qu’allant par trios tranquilles (ils sont donc fort peu japonais), ils traversent une contrée où « les prostituées sont à Genève » (entendons : elles ne sont pas où on les cherche), où les voitures n’ont nul besoin de plaques d’immatriculation et où, pour une jeune fille, avoir de grands pieds n’est pas un vice de forme. Inconvénients et avantages. Chaque lieu a les siens. Un ours est présent, il a les oreilles roses comme les fleurs des jardins. Toute cette douceur est peut-être trompeuse. Les mots nous piègeraient-ils, surtout s’ils ne cachent aucun piège.
Dieu est une femme comme une autre. Dans l’envers des choses d’ici-bas ou d’ailleurs, une genèse toute nouvelle nous attend. Elle est l’œuvre d’un Dieu assis sur son coussin de nuages, dieu personnel donc. Son ventre s’arrondit au point qu’il fut dans l’impossibilité de « [voir] sa divine » ! Ô mon Dieu ! Il accoucha de lui-même, soit de « sa plus belle création ». Cela nous a un petit air spinoziste bien réjouissant. Ensuite il n’accoucha plus que d’un modeste vent, fit pipi sur l’aile d’un ange ce qui ne fut probablement pas facile, des seins lui poussèrent, il fut femme enfin et « connut la joie, l’insulte et le crachat ».
Le recueil se clôt sur un carnet de recettes culinaires de l’autre monde : on y cuisine le crabe chinois, la soupe confucéenne, le tartare coréen dont on se fournit à Paris, entre les avenues d’Ivry et de Choisy, et on y boit des alcools asiatiques dont certains, plus légers, sont aisément tolérés par les jeunes filles. On y mange aussi à la pointe des baguettes. Si une demoiselle se sent mal, on lui masse les orteils. L’esprit ayant été nourri, Marc Kober entend nourrir les corps de mets qui seraient exotiques s’ils n’appartenaient à cet ailleurs où il nous emmena en visite. Non pas dans l’inepte souhait touristique, mais dans l’aventure de la rencontre et de l’expérience exploratrice. Les questions sont : quel est ce monde aux contours parfois asiatiques, mais assez mélangé ? Est-il d’hier, d’aujourd’hui, de demain ? On reconnaît ici la rigidité de nos catégories. C’est un monde du rire, parfois de la dérision, souvent de l’ironie. Il est bon d’avoir entrepris le voyage. Si l’on veut bien y réfléchir, un monde infiniment plus sérieux que celui dans lequel nous marinons depuis plus de 5000 ans comme des crabes « à la carapace molle ».
Michel Host
Marc Kober, selon qu’il est présenté, « pratique la natation en eau froide et le canoé-kayak submersible. Il travaille en région parisienne et respire en Normandie ». D’heureuses indiscrétions nous ont appris qu’il éprouve un grand intérêt pour la période du Surréalisme dont il connaît les arcanes, et qu’il a collaboré à de nombreuses revues de littérature et de pensée, telles Décharge, Po&sie, Europe, Supérieur Inconnu et, tout dernièrement, La Sœur de l’Ange. Il a publié, chez Rougier V. : Un hareng dieppois à Fécamp (avec Olivier O. Olivier), Traité du moustique en zone libre. Ses autres ouvrages : Les Fèves bleues (Atelier Gestes et Traces, 2010), La Clé (La Mezzanine dans l’Ether, 2009), 60 Baisers (même éd., 2007), Souvenirs d’un homme tranquille (A Contrario, 2004), L’Archipel des osselets (Fayard, 2000).
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