à propos de L’Immobilité battante, entretiens avec Jean-Pascal Léger, Pierre Tal Coat
L’Immobilité battante, entretiens avec Jean-Pascal Léger, Pierre Tal Coat, L’Atelier contemporain, juin 2017, photographies Michel Dieuzaide, 120 pages, 20 €
Une peinture ouverte
Ce qui est le plus apparent, à la lecture des entretiens qu’a donnés Pierre Tal Coat à Jean-Pascal Léger, c’est le caractère spécifique de la peinture qui reste rétive à la réification par le langage. On est convaincu qu’être peintre c’est d’abord se débattre avec la porosité des sujets, peiner à circonscrire l’espace final du tableau, saisir le temps. Par exemple, le colza – à quoi Tal Coat fait beaucoup allusion – peut se peindre, mais par quel bout : en tant que champ, que fleur, que couleur ou qu’essence de graine d’oléagineux ? ce qui reste au regardeur, c’est l’importance de la tension de la lumière qui s’accroche, qui bifurque sur le colza. Le reste n’est que dissertation – sachant que la peinture existe justement pour disserter…
D’ailleurs, cette impossibilité pour le langage d’atteindre le mystère silencieux de la peinture est encore plus net dans la bouche du peintre. On voit comment il œuvre pour une peinture ouverte, en expansion, objet d’une sorte de fermentation, qui reste fluide et autorise la saisie de la lumière – lumière qui est l’essence, qui est à la fois le lieu et la saisie du lieu. Le sujet de la peinture n’importe finalement pas beaucoup ; visage, arbre, pierre, colza, tout est à juger à la lumière – si l’on peut dire – du caractère flottant des objets, que le tableau doit re-saisir.
Oui, pour moi, l’essentiel dans la peinture, c’est le fond. Pas la préparation des fonds mais cet humus. C’est le soubassement…, la possible naissance de tout déjà. Ce n’est pas de l’inertie en dessous, ça commence. C’est un lieu inhabité encore des choses, qui n’est pas objectivé, mais qui a sa vie propre.
La peinture selon Tal Coat est une plongée dans un monde aqueux, insaisissable, poreux, fluide, arrêtée simplement par le mystère de la lumière, habitée par ce mystère pour mieux dire. Donc, on s’interroge, on se questionne sur la qualité du réel, réalité qui par essence est fuyante et instable, sujette à l’affect et aux images mentales, voire aux préjugés. Avec lui on s’approche d’une tension, d’une sorte d’arc-boutement entre l’immobile et le mobile. D’ailleurs, il confie à Jean-Pascal Léger son goût pour les longues marches dans la campagne, qui lui permettent d’aboutir à un tableau qui, lui, conserve son immobilité, son inertie.
Peinture de la lumière et encore, peinture de l’espace. Le peintre ne s’arrête pas à la chose vue, mais approfondit son secret, chose retenue elle-même naturellement dans un espace, et en cela flottante dans une énigme, l’énigme de voir. Tal Coat a raison quand il suggère que la réalité du tableau est une simple approche de la réalité de la chose vue, travailler à peindre, condenser, retenir ce qui déborde, ce qui fermente, et ce qui échappe au regard, mille fois plutôt qu’une. La peinture permet de se re-trouver, de se re-joindre, de se re-présenter la réalité avec le décalage suffisant pour que ce tremblement de la peinture puisse avoir lieu. La peinture est donc ouverte, champ d’investigations, immobile – à cause du trait – tout autant que mouvante – puisque le spectateur peut voyager avec son regard dans le tableau (certains ont dit que le regardeur « broute » le tableau).
La lumière ? Personne au monde ne saurait définir ce qu’est la lumière. On sait ce que sont les choses éclairées, on ne sait pas ce qu’est la lumière. Je ne sais pas ce qu’est la lumière mais je sens quand une toile est lumineuse, donc quand elle est en expansion. Je le sens et j’ai des éléments qui viennent corroborer mon sentiment.
Concluons cependant sur une idée générale, à savoir que la peinture est une métaphysique de la matière, qui saisit la lumière parce qu’elle égale le ciel, celui-ci égalant la nature, quand cette dernière égale la création. Toutes ces arcanes sont essentielles à tout peintre, et Tal Coat s’en fait le témoin avec sa propre langue, son propre parcours d’artiste. Il faut donc remercier l’éditeur François-Marie Deyrolle de nous permettre d’accéder à ces archives (en réalité constituées pour la majeure partie par la relation des entretiens de Tal Coat réalisés par Jean-Pascal Léger pour France-Culture), lesquelles sont habilement illustrées par une série de photographies qui saisissent un instant de l’atelier du peintre, dans une sorte de labyrinthe à ciel ouvert.
Didier Ayres
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