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A propos de L’Enfant de l’œuf, Amin Zaoui, par Fawaz Hussain

Ecrit par Fawaz Hussain le 14.11.17 dans La Une CED, Les Chroniques

L’Enfant de l’œuf, Amin Zaoui, Le Serpent à Plumes, septembre 2017, 202 pages, 18 €

A propos de L’Enfant de l’œuf, Amin Zaoui, par Fawaz Hussain

 

Amin Zaoui, un hymne à la liberté

Le ton à la fois tendre et moqueur est donné dès les premiers aboiements du narrateur, un quadrupède au nom de Harys. Ce chien se dit heureux comme un prince et on le croit sur jappement, pardon, sur parole. Il partage le quotidien de son maître Mouloud dans un petit appartement bourré de livres et ouvrant sur la baie d’Alger, un luxe qui n’est pas donné à tout le monde ou à la portée de toutes les bourses. Et puis, Harys ne se prend pas pour un chien lambda, il n’est pas tombé de la dernière pluie. Il est le descendant de Qitmir, le chien accompagnateur des Sept Dormants dont l’histoire est relatée dans le Coran. Il n’a rien à envier à son ancêtre « confortablement établi au Paradis ». A pied ou assis sur le siège arrière de la voiture de son maître, dragueur invétéré, il coule des jours heureux. C’est plutôt son maître qui  s’embourbe dans des problèmes à n’en plus finir et dès les premières lignes de cette aventure polyphonique.

Il y a donc la voix de Harys le chien. C’est une voix très attachante, voire plus humaine que celle de Mouloud, le maître bipède, l’humain et professeur à l’université. On est conquis par les réflexions du quadrupède sur le temps qui passe et l’homme qui trépasse. On adhère à ses cogitations canines (chienniennes dans le texte) sur la société arabo-musulmane et le danger de l’islamisme conquérant de nos jours.

Harys a beaucoup de principes. Il crie, enfin aboie, haut et fort ce que les humains pensent tout bas. « Qu’elle est belle, la liberté ! Il n’y a pas de vie de chien sans liberté ! La liberté pour les hommes n’est pas une priorité ; chez ces créatures, l’argent passe avant tout ». Intellectuel et politiquement engagé, il faut avouer qu’il a la langue bien pendue. Il est même plus courageux que son maître. Par ses faits et gestes hautement symboliques, il se range toujours du côté des damnés de la terre. Par exemple, lorsque Lara, la réfugiée syrienne, hurle de douleur, il sort sur le balcon et par solidarité, pisse sur un journal imprimé en arabe. Il se soulage précisément sur la tête des chefs, qu’ils soient déchus ou encore en place, sur celle de ces dictateurs qui ont instauré la culture de la peur dans le monde arabe. Il urine « avec plaisir et grand intérêt sur les journaux pleins de fatwas religieuses émises par des fqihs obsédés par les femmes ».

Harys est un pacifiste invétéré et abhorre les armes blanches et la violence. Il est incapable de faire du mal à une mouche, mais cela ne l’empêche pas d’être un sacré tireur d’élite. Il ne rate jamais ses cibles quand il les vise de ses jets urinaires humiliants. Chez lui, uriner devient un geste militant. C’est la critique ouverte et permanente d’une société arabe complètement muselée par la terreur et les sbires des services secrets.

Certes, Harys porte dans ses gènes la fidélité caractérisant les membres de sa race (un mot qu’il n’aime pas), mais il est Amin, enfin fidèle jusqu’au bout de la truffe et davantage. Il l’est à une époque pourrie où l’on cultive l’art de la félonie et où l’on se vante de mordre la main de celui qui donne à manger. Son maître le sait et apprécie.

Sur le plan littéraire, il est un fin esthète maîtrisant parfaitement les techniques de narration par à-coups. Il brosse, par petites touches successives, le portrait de tout son entourage, en particulier celui de son maître Mouloud avec « sa grosse et longue carotte bien bandée ». Il croque littérairement parlant la Syrienne, et littéralement son soutien-gorge puisqu’elle se déplace nue dans l’appartement, sans ses dessous. Grâce à lui, on apprend, par de petits détails habiles, que Lara est Syrienne, Damascène, réfugiée, chrétienne, pédiatre… Elle incarne tout le drame syrien qu’elle essaye d’oublier par le sexe en offrant son corps à Mouloud. Elle aurait pu avoir pour devise « Faites l’amour, pas la guerre ! Peace and Love », mais c’est ringard et puis, personne ne l’écoutera. La guerre l’a obligée à accepter l’hospitalité de Myriam, une Algéroise coincée qui, avant de partir pour Raqqa en Syrie, passe ses nuits à l’enlacer, à lui sucer les nichons et à lui tripoter la chatte « toujours mal rasée ».

Harys fait parfois semblant de ne pas comprendre, mais il est malin comme un fennec du désert algérien. Eh oui ! Khouya, mon frère, il faut se méfier des apparences ! Quand Lara monte au troisième étage, rien ne lui échappe, car il voit dans la noirceur, comme il dit, comprenez : le noir. La Syrienne fait une entorse à ses principes de végétarienne et devient carnivore. Elle consomme le bas-ventre de Mouloud qui n’a plus sa longue et grosse carotte, mais de la chair humaine à la place. Le maître attrape sa maîtresse par les cheveux et se mord les lèvres pour ne pas crier de plaisir, pardi !

Le chien penseur humaniste et anti-intégriste est également un épicurien. Grand consommateur de brochettes de poulet et de tablettes de chocolat, il est un adepte du carpe diem et de la bière. Il pense aux chiennes houris au paradis, mais il leur préfère le présent concret et certain ainsi que la chienne que lui présente la doctoresse Zouzou. Il est également polyglotte et comprend le français, l’arabe et le kabyle. C’est dans cette dernière langue amazighe que son maître parle par téléphone avec sa maman Lalla Skoura. Harys est pour beaucoup dans ce roman, jusqu’à en avoir engendré le titre : puisqu’il n’a jamais vu cette mère kabyle, il croit que son maître, Mouloud, est un « enfant de l’œuf », dont le jaune l’a nourri avant qu’il naisse.

Le deuxième narrateur, c’est Mouloud Ait Mouhoub, et il est vraiment comme son nom, le fils de l’Amoureux, du Passionné. Il « déteste les cages et les villes qui fabriquent les cages ». Il a Farida, sa femme la fugueuse, il a eu Sultana, sa belle-mère, il a Tanila, sa fille qui a une belle voix et une peau blanche, il est universitaire, mais quand il doit se présenter, il dit qu’il est « le maître de Harys ». L’humain et l’animal ont une relation fusionnelle, ils se comprennent sans même avoir recours à la parole, source de tous les malentendus. Quand on lit le roman et qu’on est dans le feu de l’action, on oublie qui s’exprime, mais c’est vraiment kif-kif, c’est blanc bonnet, bonnet blanc. La frontière entre Mouloud et Harys est très poreuse, cela n’a rien à voir avec la frontière entre l’Algérie et le Maroc où le vent lui-même n’ose s’aventurer.

Les vrais soucis commencent lorsque Mouloud s’inquiète pour la santé de Harys, qui souffre d’une insuffisance cardiaque aiguë. Ayant une peur bleue de perdre son compagnon, il va jusqu’à se réfugier au sein de la religion, mais c’est vraiment pour la bonne cause et dans la panique où il est. Puisque « nous irons tous au paradis », même lui qui passe son temps à boire du vin et à sauter Lara, la pédiatre syrienne, et Zouzou, la vétérinaire algérienne, Moul veut être sûr que Harys sera admis au paradis, là-haut, comme son ancêtre que le Coran mentionne, celui des Sept Dormants. Il se penche sur la sourate de la Caverne (Al Kahf) et, n’y ayant rien trouvé, il s’accroche avec l’énergie du désespoir aux paroles du pape François, dernier rempart contre l’abattement. Mouloud aussi est Amin, enfin fidèle. Il veut être certain que son alter ego trouvera dans le paradis d’Allah une place garantie sur facture.

La fin, certes triste, reste sublime. Ne comptez surtout pas sur moi pour vous la dévoiler. Ce livre est un hymne à la tendresse et à la joie de vivre. C’est un remède contre la sinistrose ambiante et les pensées défaitistes et salafisto-wahhabito-islamistes qui menacent le monde. Il fait rire et bander, pardon, je voulais dire penser. Oui, L’enfant de l’œuf d’Amin Zaoui fait beaucoup penser !

 

Fawaz Hussain

 


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A propos du rédacteur

Fawaz Hussain

 

Fawaz Hussain est né au nord-est de la Syrie dans une famille kurde. Il vit à Paris et se consacre à l’écriture et à la traduction des classiques français en kurde, sa langue maternelle.