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A propos de Dans l’œil du dragon, Jean-Claude Walter

Ecrit par Didier Ayres le 25.08.15 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Dans l’œil du dragon, Jean-Claude Walter, Arfuyen, juin 2015, 128 pages, 13 €

A propos de Dans l’œil du dragon, Jean-Claude Walter

Enfance, pays, poésie

Je voudrais remercier avant toute chose Gérard Pfister de m’avoir fait connaître la littérature de Jean-Claude Walter, car j’ai aimé me retrouver dans les textes de la maturité d’un écrivain qui réfléchit depuis très longtemps à ce qui doit rester, doit se quintessencier. Donc cet âge de l’écrivain qui se resserre sur des phénomènes simples, sur des thèmes comme l’enfance, le pays – sans doute l’Alsace – ou la poésie. Cette simplicité n’est pas à mon sens un handicap, mais une forme de vérité sur les choses, et l’intérêt pour ces thèmes très restreints, simplicité apparente bien sûr car les sujets sont difficiles, n’a pas cessé de me captiver tout au long de ces courts textes de prose que réunit l’ouvrage.

Mais citons :

Je chante un lieu réel et imaginaire qui allume ses lumières, l’espérance, et notre liberté. Avec le concours de quelques porte-parole… L’abeille bleue et son nectar. Le vieux bourrin complice. Les chuchotis des sapins. Le soleil pisteur… L’école première et ses « leçons de choses », la lèvre inaccessible de la maîtresse… La carrière de granit d’où extraire tous ces mots. La requête de ce qui bouge, fulmine, et nous enivre de sa beauté… Comète du silence. Sainte chimère.

Là donc, un lieu imaginaire, ou encore l’ébriété du souvenir qui éclot chez le poète comme la pure enfance reconstituée, car jamais quittée en fin de compte. Enfance qui se défait avec le temps pour mieux se restreindre à une essence. Enfance de Jean-Claude Walter prise dans le maelström d’un temps révolu et cependant vif, cette enfance pour seul et dernier âge, qui autorise la poésie. Une poétique de l’enfant sensible et vive, attachée par exemple à la mémoire de la maîtresse d’école – et même un tantinet par érotisme inconscient.

Et c’est là le deuxième point que je veux souligner et qui m’a conduit au fur et à mesure dans ma lecture, ce partage de l’émotion du poète pour son village. Ainsi, j’ai décelé une poétique du village, et plus largement de l’Alsace.

Tu n’as pas besoin de grimper sur les tréteaux de Thannen lorsque ce mirage te submerge… Barrières de sapins, cerisiers noirs, gros chevaux de labour, fermes assises tout du long ou jetées dans les collines fillettes enrubannées, chiens fureteurs, gamins d’une cause rebelle dont tu fus l’un des servants… Les morts y sont toujours alignés comme les millefeuilles du boulanger, en éventail autour de l’église, offrant leur silence aux enfants nonchalants, bigotes fébriles, paysans en habit du dimanche. On rencontre rarement de ces petits cimetières frais comme pivoine, rustiques en leurs atours, tendrement complices, qui se pressent autour du clocher à deux pas de la mairie ou de l’école telle une île en déshérence. De nos jours on relègue les morts à la périphérie de nos vies, mais tu revois leur sourire quand tu courais dans l’allée pour te suspendre sur l’ordre du curé à la grosse corde qui agitait la cloche des vêpres ou des matines… Des enfants, les morts de ce temps-là étaient certes solidaires.

C’est cette question du lieu, carrefour de l’habitation du monde en poète, avec ce que permet de décrire la prose, qui aboutit à l’interrogation sous-jacente de l’amour pour une terre, que le poète éprouve comme capiteux et univoque. Car c’est avec une langue très simple qui varie de poème en poème, le villageois pris comme sujet, et son émotion, qui cherche une issue, ici dans cette prose pleine d’effervescence. Ainsi, poétique du village.

Importance de l’enfance, importance de la localité, et importance des livres, de la poésie. Je trouve d’ailleurs très original de fabriquer des pages avec des citations, façon qui laisse entrevoir à la fois la culture de l’auteur, ses goûts et qui abouche la prose de son œil du dragon, à de hautes figures, sans doute qui furent le sujet des hantises de J.-C. Walter. Par exemple : Joyce, Deguy, Montaigne, Ponge, pour ne citer qu’eux et tout à fait arbitrairement. Car le livre, ce livre n’est possible sans doute, que construit par la vie de la littérature. Proses qui ont lien avec de hauts textes de poètes incomparables.

Tout au bout du canapé il se recroqueville tel un hortensia fané. Confiné mais chic dans sa reliure d’un rouge passé, tel livre ne peut que nous surprendre. Une vignette bistre éclaire sa couverture : tête d’un homme dont le chapeau haut-de-forme ressemble à un pot de fleur renversé. Baudelaire, nous apprend-on, crayonné par Édouard Manet. […]

Et pour être un peu plus exhaustif, il faudrait citer la beauté de Stéphane, qui comme l’amitié est sujette à la contingence, ou encore l’amour sensuel pour des femmes emblématiques, amour physique qu’écrire rend et définit. Merci alors à ce livre pour cette prose qui raconte, qui dit, sans se perdre, et aboutit à des moments de beauté très singuliers.

 

Didier Ayres

 


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.